Zemmour et le Vel d'Hiv: circulez, rien à voir !

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 94 commentaires

"Je ne m'attendais pas à poser cette question un jour, dit Guillaume Erner. Y a-t-il quelque chose qui prouve que Pétain a sauvé des Juifs ?" On est mardi matin, et Erner, à la Matinale de France Culture, reçoit en catastrophe l'historien Laurent Joly en pompier de service, quelques jours après que Alain Finkielkraut, dans son émission de la même station, Répliques, a ouvert son micro à Eric Zemmour, exposant la station à un petit tollé : que Zemmour ait table ouverte chez Bolloré, passe encore. Mais pas à France Culture !

Il faut dire que Zemmour a fait fort. Encore plus fort que quelques jours auparavant, chez Bolloré justement, lorsqu'il avait commencé à taper sur les premiers résistants communistes de 41 "qui ont poussé à la guerre civile" (à voir ici). Cette fois, il concentre le tir sur la rafle du Vel d'Hiv (13 000 personnes arrêtées par la police française les 16 et 17 juillet 1942, dont moins d'une centaine reviendront, voir la chronique de Mathilde Larrère). Et vous savez quoi ? La rafle du Vel d'Hiv, circulez, rien à voir. Rien de très différent d'une expulsion normale d'étrangers irréguliers, comme il s'en pratiquait dans les Années 30, bien avant l'Occupation. La preuve ? Zemmour, théâtral : "J'ai eu entre les mains la feuille de route de la rafle du Vel d'Hiv sortie par un ami de la préfecture de police. Vous savez ce qu'y a d'écrit ? C'est exactement la même procédure que pour les expulsions d'étrangers en état irrégulier." Finkielkraut : "ils savaient que c'était la déportation. Foutez-vous pas de moi, quand même !". Zemmour : "Faut revenir dans le contexte d'une très forte immigration juive d'avant guerre qui a ulcéré beaucoup de Français...et beaucoup de Juifs français. S'il y avait eu un sondage en 42 je suis pas sûr que les Français auraient voté pour les traditions d'asile, mon cher Alain."

Bref, la rafle du Vel d'Hiv était non seulement parfaitement régulière, mais aussi politiquement justifiée par le courroux de l'opinion publique, tel que l'IFOP et la SOFRES auraient pu, bien entendu, le mesurer en toute sérénité en 1942, en le corrigeant des variations saisonnières liées aux malheureux événements internationaux. Et d'ailleurs les Juifs français, dédaigneux de leurs coreligionnaires immigrés récents, en portent une part de responsabilité morale. Autrement dit, juridiquement régulière, politiquement justifiée, la rafle  du Vel dHiv ne constitue nullement un acte constitutif  d'un crime contre l'humanité. 

Quelle est aujourd'hui la différence entre Zemmour et le regretté Robert Faurisson, disparu le mois dernier ? Faurisson niait l'existence de chambres à gaz. Zemmour nie toute responsabilité personnelle, dans l'organisation de convois vers les chambres à gaz, de Pétain, Laval et Bousquet. Cela peut-il s'appeler du négationnisme ? Apparemment pas pour tous ceux qui n'auraient certes pas invité Faurisson, mais qui invitent Zemmour sans précautions  particulières.

PS : peut-être aurai-je l'occasion d'aborder directement la question avec Alain Finkielkraut, puisque j'ai le plaisir d'être invité à son émission Répliques, le 1er décembre, sur le thème, ô combien actuel : "peut-on parler d'un retour aux Années 30 ?"


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