Xavier Bertrand, et les apprentis bouchers de moins de seize ans

Daniel Schneidermann - - (In)visibilités - Le matinaute - 61 commentaires

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"Je ne me sens pas légitime"

dit Xavier Bertrand à Pujadas, au lendemain du second tour des Régionales. Pas légitime à se présenter à la future primaire de Les Républicains. Très bien. C'est fou ce que ces simples mots font du bien, pansent nos plaies. On ne réalisait pas à quel point on avait besoin de les entendre. Ils sont si nombreux, à se sentir en permanence légitimes. Du soir au matin, on est bombardés de Leurs Légitimités Majuscules. Ils sont légitimes à commenter les désastres qu'ils n'avaient pas vu venir, à candidater en permanence à tous les postes qui se présentent, ils bartolonent à l'hôpital (ou ailleurs), ils sarkozysent au Parc des princes, ils Le Driannent entre chouchen et bombardements, ils ne se posent qu'une question : comment rebondir ?

Vivent les gens qui doutent. Ils font tant de bien, ces mots, que toute la presse les reprend, proclame Xavier Bertrand reine d'un jour, et que même Hollande se précipite pour inaugurer avec lui un monument à la fraternisation franco-allemande dans les tranchées de 14-18 (vous saisissez l'allusion ? Les tranchées. Les ennemis de toujours qui fraternisent sur l'essentiel. Vous le voyez bien, le message, ou il faut vous le surligner ?) Si on avait vraiment très mauvais esprit, on pourrait toujours s'étonner que Xavier Bertrand se sente tout de même assez légitime pour venir expliquer chez Pujadas qu'il n'est pas légitime, mais l'heure n'est pas à bouder son plaisir.

Et puis, à la fin de l'entretien, Pujadas pose à Xavier Bertrand une question sur Manuel Valls, on ne comprend pas bien laquelle. Et Bertrand-qui-a-été-élu-grâce-aux-voix-de-la-gauche rebondit. Oui, il serait prêt à travailler avec Valls, par exemple sur "les apprentis bouchers de moins de seize ans, qui n'ont pas le droit de couper de la viande". En deux clics, on voit bien d'où lui vient cet exemple : d'une visite de campagne dans une boucherie de Lens. Le matinaute doit avouer qu'il ne sait pas exactement pourquoi les apprentis bouchers de moins de seize ans n'ont pas le droit de couper de la viande. Sans doute (mais ce n'est qu'une supposition) pour de futiles raisons de sécurité. De la même manière (toutes proportions gardées) qu'à un moment, le législateur a interdit à des enfants de pousser des wagonnets dans les mines de ce qui n'était pas encore le Nord-Pas de Calais-Picardie. Peut-être, à l'époque, s'est-il trouvé des Xavier Bertrand pour se scandaliser, main sur le coeur, que les enfants n'aient plus le droit de pousser des wagonnets.

Bref, depuis dimanche, comme d'habitude après les raclées électorales, ça fraternise sec entre la droite et le PS, ça sort la tête des tranchées, ça jette des ponts, ça ennekaème, ça raffarine, ça rejette le sectarisme, ça frémit du désir de "travailler ensemble" sur les grands sujets, ça funambilise tant que ça peut au dessus des "anciens clivages". Ca funambulise tant que ça va bien finir par tomber. De quel côté ? Bizarrement, on a comme une petite idée.

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