Violences sexuelles : le moment Taku Sekine
Daniel Schneidermann - - Investigations - Le matinaute - 116 commentaires
Personne ne sait ce que le chef cuisinier japonais Taku Sekine avait à se reprocher. Et personne ne le saura peut-être jamais. S'est-il glissé le 8 janvier 2019 dans le lit d'une jeune Canadienne endormie, et l'a-t-il agressée sexuellement, comme elle l'a affirmé sur Instagram le 1er août 2020 ? A-t-il commis de multiples autres actes de violences sexuelles ? N'en a-t-il commis aucun ?
Ce qui est certain, c'est que le jour où il se suicide, le 29 septembre, Taku Sekine est cerné par la rumeur aux mille bouches. Son nom est sur toutes les lèvres du petit monde de la "foodosphère". Toute une flotille de sites de buzz qui se recopient les uns les autres livrent le portrait transparent d'un chef. Le 6 septembre, son nom vient même d'être imprimé noir sur blanc par l'un d'entre eux, Atabula, qui affirme aussi que Taku Sekine aurait quitté la France. Toutes ces rumeurs sont crédibilisées par la supra-rumeur qu'une enquête de Mediapart est en cours -ce qui est exact, depuis le 27 juillet précédent. Notre récit d'hier, par Julie Le Mest, livre un aperçu vertigineux de cet emballement.
Selon une technique qui ne cesse de s'affiner depuis quelques années, une enquête sur les violences sexuelles suppose un vaste recueil, par les journalistes, de pièces à conviction et de témoignages, avant d'y confronter la personne mise en cause. Cela peut prendre des semaines, des mois, pendant lesquels cette personne peut suivre les progrès de l'enquête, sans pouvoir y réagir. Que cette personne soit coupable ou non, on peut supposer que ces semaines, ces mois, ne sont pas faciles à vivre.
Comme tous les lieux où se concentrent pouvoir, argent et prestige, la haute cuisine est certainement un bouillon de culture de mains baladeuses, de blagues lourdes, d'abus sexuels. Elle n'a sociologiquement aucune raison d'échapper au tableau. Dans une perspective historique, la vague d'investigations sur les violences sexuelles dans les lieux de domination politiques, économiques, sportifs, intellectuels, artistiques, marque un progrès millénaire. Et même, une révolution, qui peut commettre des injustices, qui en commet forcément. Personne ne peut dire aujourd'hui si la mort de Taku Sekine en est une, ou non. Mais dans l'affinage, toujours en cours, des procédures d'enquêtes journalistiques, elle doit donner matière à réfléchir.