Vincent Bolloré, oligarque tricolore

Daniel Schneidermann - - Silences & censures - Médias traditionnels - Financement des medias - Le matinaute - 57 commentaires

Tout le reste étant établi, consigné, chronométré, reste pour l'Histoire une question : que veut Vincent Bolloré ? Et plus précisément : au-delà de veiller à la prospérité de son empire, l'oligarque bientôt septuagénaire a-t-il le projet conscient, déterminé, d'installer au pouvoir en France l'extrême-droite nationaliste et autoritaire, voire de liquider la démocratie ? Puisqu'il était inimaginable d'espérer une confession sincère, réservée aux professionnels de la chose, puisque les sénateurs de la commission sur la concentration des médias, comme c'était hélas à prévoir, se sont laissés bercer plusieurs heures par une histoire pieuse, restait la simple ressource d'écouter attentivement le personnage. 

Se dessine d'abord la silhouette d'un provocateur bientôt septuagénaire, qui n'a plus rien à demander ni à perdre. L'accuse-t-on d'être d'extrême droite ? Réfutation comique par le pronom iel : "On pourrait dire que je suis woke et déconstructionniste. Prenez iel. Iel c'est le Petit Robert. Le Petit Robert c'est Editis. Donc c'est moi. "

Dépouillé de sa naïveté provocatrice, et de son déni de comédie (je n'ai déjeuné qu'une fois avec Zemmour, je n'ai jamais viré personne, je n'ai plus aucun pouvoir, et d'ailleurs je regarde très peu la télé) que reste-t-il de l'audition de Vincent Bolloré devant le sénat ? De récurrentes, et certainement sincères, protestations de patriotisme économique. Si Bolloré avale autant qu'il peut, s'il avale horizontal, s'il avale vertical, c'est pour fortifier le nain français Vivendi, contre les géants de l'entertainment et de la com' états-uniens (quitte à opérer dans ses slides des comparaisons inopérantes, comme le détaille Libération). Patriotisme familial, issu en ligne directe de toute sa famille, des oncles des commandos Kieffer à la grand-mère dans les services secrets de la France libre. Soit.

Mais au-delà des tuyaux, qui sont en effet le cœur de votre boulot, cher Monsieur, quid de leurs contenus ? Une excellente enquête de la Revue des médias de l'INA sur la création de Direct 8 en 2005, rappelait l'emprise de l'industriel sur les contenus que diffusent ses chaînes, jusqu'au choix des présentatrices, emprise qui n'a pas cessé (euphémisme) depuis la prise de contrôle du groupe Canal+. Quels contenus français, donc ? S'il s'est efforcé le plus souvent d'éluder les questions sur cet aspect, l'industriel a néanmoins laissé percer le bout de l'oreille un instant : "J'ai pas le droit de dire Clovis, Charlemagne, c'est mal vu aujourd'hui, mais bon. Quand on fait Versailles ou Clovis, c'est plus intéressant que quand on fait Superman." Et c'est aussi certainement "plus intéressant" que tous ces machins informatiques, étrangers à la doxa zemmourienne.

Donc voilà. S'il est si important de construire un "champion français", c'est pour contribuer à la propagation du "roman national", ce roman "qu'on n'a plus le droit" d'écrire, ce qui constitue, quelle coïncidence, le cœur du projet zemmourien, et qui impose de négliger les détails comme, pour ce descendant de la France libre, l'éloge quotidien de Pétain. Qu'il s'agisse d'une conviction sincère, ou une incongruité de papy provoc, importe peu. Reste la toxicité historique du personnage, se  placerait-on même du point de vue de l'intérêt national, pour lequel il me semble, à mon humble avis, plus important de former des codeurs PHP, que d'entretenir le culte de Charlemagne.


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