Veolia-Suez : simple comme un coup de fil de l'Élysée ?

Daniel Schneidermann - - Investigations - Le matinaute - 59 commentaires

Une chose est certaine, c'est qu'ils sont sortis. Les deux membres CFDT du conseil d'administration d'Engie avaient quitté la salle quand le conseil s'est prononcé par six voix contre quatre en faveur de la cession des parts de Suez détenues par Engie, à Veolia, lundi 5 octobre. Et là commence le nouveau feuilleton-mystère du capitalisme français : pourquoi donc sont-ils sortis ?

Résumé des épisodes précédents. Veolia, numéro Un de l'eau et des déchets en France, veut absorber Suez, numéro Deux, pour constituer un "champion mondial" (air connu). La direction de Suez s'oppose à l'opération qui, selon elle, se solderait par une dizaine de milliers de suppressions d'emploi dans le monde. Cette absorption donnerait aussi naissance à la constitution d'un quasi-monopole en France de la distribution d'eau, avec les conséquences que chacun peut anticiper sur le prix de l'eau dans les foyers. Jean-Luc Mélenchon a solennellement appelé l'Etat à s'opposer à l'opération. Arnaud Montebourg aussi, qui y voit "une distribution oligarchique d’avantages dans un cercle restreint d’amis privilégiés du pouvoir". Après un moment de... flottement (pardon) début septembre, l'État s'y est d'ailleurs aussi déclaré opposé, et s'y oppose encore, Bruno Le Maire s'affirmant toujours convaincu, mardi matin, donc après le vote d'Engie, que "les mariages de force, ça ne marche pas". Logiquement, les trois représentants de l'État au conseil d'administration d'Engie ont donc voté contre la vente à Veolia. Ce qui permet à Libé une jolie Une, "C'est pas l'eau qui prend Le Maire... c'est Le Maire qui prend l'eau".

Mais est-ce une version complète de l'histoire ? Selon trois sources de Mediapart, le secrétaire général de l'Élysée, Alexis Kohler, aurait téléphoné aux deux représentants de la CFDT, pour leur demander de s'absenter au moment du vote, déclenchant ainsi le feu vert à la vente. Même si on peut supposer que les élus CFDT d'Engie auraient eu, seuls, sans coup de fil élyséen, leurs raisons propres de favoriser l'opération, l'information est importante -et Mediapart est même re-twitté par Mélenchon, c'est dire si l'heure est grave. Si elle est exacte, elle signifie que le pouvoir a un double discours : opposé en façade, favorable en sous-main. Elle déchire en tous cas la CFDT : les élus CFDT de Suez se sont publiquement désolidarisés des élus CFDT Engie.

Entre la quasi-totalité de la presse qui répète que l'État a été bafoué, et Mediapart qui l'accuse de duplicité, où est la vérité ? Une chose est certaine, c'est que les deux élus CFDT n'ont pas participé au vote.

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