Valls contre Hollande : ce que dit le choix des télés

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 53 commentaires

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Au soir de la victoire de Manuel Valls à l'élection présidentielle, en 2017, en 2022, en 2027 ou à toute autre date

, quand on se demandera comment et quand "ça a commencé", il faudra se souvenir du 8 octobre 2013. Ce jour-là, Valls et le président alors en exercice, François Hollande, étaient tous deux en déplacement "sur le terrain". Valls à Forbach, en Lorraine, pour un déplacement "anti Front National". Et Hollande dans la Loire, sur le thème de l'emploi et de la formation (mais pas seulement, on y reviendra). Et ce soir-là, remarque avec pertinence Le Monde, le journal de 20 Heures de France 2 décida de consacrer une minute et 45 secondes à Valls, et 15 secondes à Hollande.

Au vu des deux sujets, aucun des deux déplacements ne paraissait spécialement plus intéressant que l'autre. Ce n'est donc pas l'intérêt intrinsèque des deux événements, qui a conduit à cette transgression anti-protocolaire de France 2. Il y a fort à parier que l'arbitrage avait été fait auparavant. Une conférence de rédaction l'avait décidé dont @si, grâce à sa brigade de majordomes spécialisés, vous offre quelques extraits : "ah oui, Valls, sur le FN, avec Brignoles, il est dans l'actu. Hollande, il parle de quoi ? De la formation et de l'emploi ? Pff. Tout le monde s'en fout, de la formation. On fera un "off" de quinze secondes". C'est autant un choix d'acteurs que de scénarios. Acteurs : Valls imprime, Hollande fait zapper. Et scénarios : les thèmes "vallsiens" (immigration-insécurité-Roms-FN) électrisent, quand le chômage est présumé faire zapper le télespectateur.

Effectuant cet arbitrage, Pujadas nous offre un spectaculaire aperçu de la manière dont la télévision biaise le monde. Tout y est. L'arbitrage pujadien part d'abord du postulat que le FN a progressé à la cantonale partielle de Brignoles. C'est faux : entre 2011 et 2013, il n'a pas progressé en voix. Ce sont les électeurs des autres partis qui se sont abstenus. L'arbitrage pro-Valls part de la deuxième hypothèse que les électeurs FN se déterminent, avant tout, en fonction des questions de sécurité. C'est sans doute tout aussi faux. Un nombre inconnu mais significatif d'électeurs FN se déterminent aujourd'hui en fonction des propositions économiques du parti (notamment la sortie de l'euro, dont ils espèrent, à tort ou à raison, qu'elle permettra de réduire le chômage). Dans cette hypothèse, le voyage de Hollande est tout autant "dans l'actu" que celui de Valls.

Ainsi France 2 semble-t-elle repartie comme en 14, plus précisément comme en 2001, quand un très long emballement de plusieurs mois sur l'insécurité avait conduit à l'élimination au premier tour de la présidentielle de Lionel Jospin, le 21 avril 2002. Jusqu'aux Européennes, elle va nous fabriquer un monde parallèle, à base de Roms, de flics, et de Marine Le Pen. Si France 2 avait décidé de zoomer sur le déplacement de Hollande, elle aurait pu par exemple raconter que le président a inauguré une nouvelle usine de fabrication d'isolants thermiques à base de matériaux naturels, sortie de terre en six mois, et qui a déjà créé 20 emplois. Mais non : Pujadas a décidé pour nous que ce n'était pas "l'actu". Certes, la grande machine n'est pas homogène. Comme en un acte de résistance à l'arbitrage pujadien, le journaliste de France 2 auteur du sujet sur Valls a par exemple conservé au montage quelques secondes de l'interpellation d'un habitant de Forbach : "Il n'y a pas que la sécurité, Monsieur Valls". Une bouteille à la mer. Mais qui l'a vue ?

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