Urgence militaire, urgence humanitaire

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 472 commentaires

Gaffe ou demi-gaffe ? Porte-parole de la France insoumise, Alexis Corbière assure le 9 mars sur France Info que la France livre à l'Ukraine "des gilets pare-balles et quelques missiles anti-char." Étonnement du journaliste Marc Fauvelle : "Vous avez la liste ?" Embarras de Corbière : "Je siège à la commission de défense de l'Assemblée...ça peut ressembler à ça". Fauvelle : "J'avais cru comprendre qu'il y avait un secret-défense, mais je me suis peut-être trompé". Pataquès entretenu par le gouvernement et l'extrême droite une partie de la journée : Corbière a-t-il trahi le secret-défense ? Verdict : non. Les informations livrées aux députés ne sont pas classées "secret défense". On compte seulement sur leur discrétion. Nuance.

Si Corbière s'est laissé entraîner sur ce terrain, c'est pour soutenir la proposition insoumise de suspendre ces livraisons d'armes. La soutenir et... la minimiser, car "de toutes façons, il y en a très peu". Malencontreux hasard, en plein pataquès, à la mi-journée, dans une conférence de presse prévue avant la demi-gaffe de Corbière,  Jean-Luc Mélenchon déplore l'absence de tout débat sur les livraisons d'armes.  Il réclame une session du Parlement, pour que le gouvernement s'explique – "même à huis-clos" –, par exemple sur les livraisons d'armes à l'Ukraine. "Si c'est vrai qu'on a envoyé des armes antichar, je veux savoir pourquoi on a choisi ça. Quelles réactions a-t-on anticipé des Russes sur ce sujet ? Parce que c'est pas pareil que les Suédois amènent ceci et cela, et que ce soit la France.  La France est une puissance nucléaire, c'est pas un détail. Il y a des raisons d'être inquiet".

À la différence de Corbière, Mélenchon ne réclame pas explicitement la cessation des livraisons (il a pourtant regretté cette livraison quelques jours plus tôt), mais seulement des explications. Nuance. Encore une. Décidément ! Mais que veut dire le candidat, quand il demande si "l'on a anticipé la réaction des Russes" ? Qu'il faut solliciter l'autorisation de Poutine avant de livrer des missiles anti-char aux Ukrainiens ? Qu'il faudrait, quand l'Ukraine est sous les bombes, réunir des commissions et des sous-commissions ? Et l'urgence, camarade ?

À propos d'urgence. Le 20 heures de France 2 nous emmène dans un des plus grands entrepôts en Pologne, où transite l'aide humanitaire vers l'Ukraine. Des centaines, des milliers de cartons, triés, empaquetés par des volontaires polonais. Et voilà que le reporter de France 2 tombe sur deux Français qui viennent de parcourir deux mille kilomètres, et déchargent leur camionnette. "On a fait une collecte sur Voreppe, près de Grenoble, qui a très bien marché. Du coup on a pris le fourgon, et on est venus tous les deux, voilà". Voilà. C'est si simple ! Le reporter, Laurent Desbonnets : "Vous avez une attache avec l'Ukraine ?""Aucune" dit l'un. "L'humanité avant tout" complète l'autre. "On a juste vu des enfants pleurer, et voilà", conclut le premier. Re-voilà.  De mon enquête exclusive en sources ouvertes, il apparait que les deux Français sont ressortissants du bar-tabac Les Platanes, à Charnècles (Isère). De quoi faut-il le plus s'étonner ? Qu'il y ait un patron de bar, pour prendre sa camionnette, et partir en Pologne livrer des jouets ? Ou qu'il n'y ait pas davantage de bars Les Platanes de Charnècles ?

Livrer des armes, livrer des jouets ? L'un ? L'autre ? Les deux ? Aide humanitaire et aide militaire ne se confondent pas, on le sait bien. Mais toutes deux sont commandées par un même sentiment d'urgence. Cette urgence, on sait comme elle peut être bonne ou mauvaise conseillère. Tête politique, homme d'État, monstre froid, on sent Mélenchon radicalement étranger à ce sentiment d'urgence. De faire ce sale boulot de mettre les sentiments à distance, comment ne pas lui en vouloir ? En même temps, comment ne pas lui en être reconnaissant ? 


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