Une cérémonie funéraire corporatiste

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 32 commentaires

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Mission accomplie. Atrocement accomplie.

Au moins, la France entière sait maintenant que le "terrorisme" n'a pas été "éradiqué" au Mali. Qu'il reste au moins une ville, Kidal, de laquelle les militaires français se tiennent prudemment à l'écart, l'abandonnant aux mains de groupes touaregs rivaux (voir notre émission de janvier), qui y dictent la loi, et peuvent y pratiquer en toute impunité l'enlèvement en plein jour. Si Ghislaine Dupont et Claude Verlon avaient achevé le reportage pour lequel ils étaient partis à Kidal, s'ils l'avaient diffusé dans la spéciale Mali prévue sur RFI cette semaine, quel eût été l'impact de ce reportage ? Deux vies : c'est cher payer une information que l'on aura oubliée demain, mais au moins est-elle passée.

Que Ghislaine Dupont et Claude Verlon n'aient rien fait d'autre que leur métier, est une évidence. L'Etat-major français de Bamako leur avait déconseillé le voyage de Kidal, et avait refusé de les acheminer ? Et alors ? C'est le rôle de l'Etat-major, pour de bonnes et de mauvaises raisons, de ne pas vouloir s'encombrer, dans certains bourbiers, de témoins indépendants. De mauvaises raisons : pas la peine de ternir les brillants succès, avec des reportages sur les enlisements. Mais aussi de bonnes : dans les jambes d'une armée en campagne, des voitures de journalistes offrent à l'adversaire une cible supplémentaire, et facile. On sait tout ça. Et ces conseils de prudence reçus, il est de la responsabilité de chaque media de peser ses risques, et de prendre ses reponsabilités.

La double exécution à peine connue, les rares informations dont on disposait furent noyées, sur toutes les ondes, sur tous les sites, dans une vaste cérémonie funéraire corporatiste. Il ne s'agissait pas d'informer, mais de pleurer les confrères, et de condamner la lâcheté des "barbares". L'émotion avait fait basculer le système dans la pure et simple propagande de guerre, lui faisant oublier que cette double exécution était un acte de guerre, totalement barbare certes, mais ni plus ni moins que bien d'autres, qui ne parviennent jamais à notre connaissance. L'enquête dira si ce fut un crime de hasard, ou si le coup a été monté, et avec quelles complicités. Elle éclaircira aussi -souhaitons-le- les témoignages sur la présence d'un hélicoptère dans le ciel de Kidal, juste après l'enlèvement, contrairement à la première version des militaires français, témoignages dont faisait précisément état RFI, ce lundi matin. Souhaitons que ces enquêtes soient aussi libres, aussi franches, que celles qui furent publiées après la libération des otages d'Arlit, la semaine dernière, et qui établirent sans l'ombre d'un doute que la France, en dépit des discours officiels, avait bel et bien payé une rançon.

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