Un peu d'archéologie sur les concombres
Daniel Schneidermann - - Intox & infaux - Le matinaute - 55 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Si l'europhobe britannique a été gavé à la banane, l'europhobe français se nourrit de concombre.
Il est fascinant, l'entêtement des eurodémagos français à continuer de produire de l'euro-bobard à la chaine, imperturbables, malgré tous les démentis. Moquons tant qu'on voudra Boris Johnson, mais souvenons-nous que nous avons les nôtres, à commencer par un ancien haut responsable français du nom de Sarkozy, Nicolas. La très pertinente rubrique "L'oeil du 20 Heures", de France 2, petit ilôt de résistance interne au pujadisme, rappelait, montage à l'appui, le ressassement sarkozyen sur le thème du concombre martyrisé par les règlements européens. Figurez-vous, Mdâmes messieurs, que l'UE réglemente la courbure des concombres. Oui, des concombres ! C'est quand même pas malheureux, toute cette bureaucratie ?
Après Libé, France 2 démontait donc le hoax sarkozien : rien sur la courbure des concombres dans la réglementation européenne. Attention : dans la réglementation actuelle. Car il est exact qu'un réglement de 1988 a bien fixé des normes de qualité pour les concombres, incluant, en effet, la courbure la plus faible possible (pour les détails de ce réglement, et le plaisir de la lecture, voir ici). Mais cette norme a été abrogée en 2009. Même si, rappelle Libé, la fraise (autre aliment sarkozien) fait toujours partie des dix fruits et légumes sujets à des normes de poids et de taille.
C'est bien le point de faiblesse de tous les défenseurs de l'UE : à l'origine des euro-bobards, on trouve bien, le plus souvent, une étincelle qui justifie le "pas de fumée sans feu". Un obscur article dans une obscure directive, un projet d'article, un avant-projet d'article, une interview, un propos de couloir à l'origine inconnue mais non contesté, comme dans le cas du scoop du journaliste Boris Johnson sur "le plan Delors". Obscures origines, vestiges de la frénésie normative de l'eurocratie, à l'époque de sa splendeur. Frénésie dont on peine, dans le cas du concombre, à déceler l'origine. Les concombres courbes présentaient-ils des risques sanitaires ? Des risques pour la sécurité des enfants ? Qu'a-t-il bien pu passer par la tête des auteurs de ces directives ?
Les traces de cette époque lointaine sont peu nombreuses, mais elles existent. Dans l'esprit de notre lointain ancêtre l'eurocrate triomphant, il s'agissait apparemment de favoriser l'avènement d'un marché unique, et d'interdire aux Etats-membres d'édicter leurs propres normes, dans des objectifs protectionnistes nationaux. Autrement dit, d'éradiquer la norme nationale au nom d'une super-norme européenne. Toutes ces déductions devant être faite avec une prudence d'archéologues, qui n'ont pas fini de creuser.
Concombres, dans leur diversité, by Google images