Un bon et un mauvais antilepénisme ?
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 145 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Antilepénistes, attention, ne vous trompez pas d'antilepénisme !
Comme le cholesterol, il y a un bon et un mauvais antilepénisme. C'était le thème d'un papier du Monde d'hier, co-signé par cinq journalistes -cinq !- regrettant que la présence de Le Pen au second tour soit déjà ancrée dans les têtes, au point qu'aucun candidat ne combat plus vraiment la candidate FN. Et quand on la combat, poursuit Le Monde, on se trompe d'angle, en l'attaquant plutôt sur le thème du "No pasaran" que sur son programme économique, comme la sortie de l'UE. Et Le Monde d'en prendre pour preuve un récent avertissement de Hamon. «Si Marine Le Pen gagne, qui prendra le pouvoir dans la haute administration? Quels seront les juges nommés, les préfets? Le pays sera mis en croix.» " Une stratégie du «tout sauf le FN» longtemps appliquée par les partis républicains. Sans véritable succès depuis plusieurs années" assurent mes cinq collègues.
Ils ont raison. La dénonciation du lepénisme comme un fascisme moderne, depuis plus de trente ans, n'a pas particulièrement ému ses électeurs. Mais de fait, la sortie de l'euro, qui fait si peur au Monde, non plus. Critiquer le programme économique, ou dénoncer le danger autoritaire ? Sachez, chers collègues, qu'on en débattait déjà au journal dans les années 80, face au papa. Sans réponse définitive, comme chacun peut le constater.
Alors ? Alors faute de certitude scientifique, on peut s'accrocher à des indices. A des embarras, des bafouillements, qui viennent gripper le discours triomphal. Il fallait par exemple entendre, ce matin, les esquives du directeur de campagne de Le Pen David Rachline, sur France Inter, face à Patrick Cohen. Il faut dire que la cheffe, en butte à des poursuites de l'OLAF, et qui a refusé de déférer à une convocation policière, a gaffé dur, l'avant veille. Relisons : "Je veux dire aux fonctionnaires, à qui un personnel politique aux abois demande d’utiliser les pouvoirs d’État pour surveiller les opposants, organiser à leur encontre des persécutions, des coups tordus, ou des cabales d’État, de se garder de participer à de telles dérives. Dans quelques semaines, ce pouvoir politique aura été balayé par l’élection.Mais ses fonctionnaires, eux, devront assumer le poids de ces méthodes illégales. Ils mettent en jeu leur propre responsabilité. L’État que nous voulons sera patriote".
Dans la tradition française, la menace ouverte de représailles, en cas d'alternance, contre les fonctionnaires mal-pensants est nouvelle. Habituellement, on épure sans le dire, en démentant vertueusement. Quels fonctionnaires visent ces menaces de représailles ? demande Cohen une fois, deux fois, trois fois à Rachline. Des policiers ? Des magistrats ? Marche arrière laborieuse du maire de Fréjus. Mais non, qu'allez-vous croire, elle ne vise pas des fonctionnaires. Elle vise des manœuvres. Elle vise le gouvernement. Elle vise Cazeneuve. D'ailleurs son discours ne fut qu'un cri d'amour aux fonctionnaires. Ce ne sont surtout pas des menaces de représailles. Cette menace n'est pas une menace. Vous l'avez entendue, mais vous n'avez rien entendu. Vous avez bien tort d'avoir peur, tout en ayant parfaitement raison.