Ukraine, pub et fashion week : des "embarras" contagieux
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 105 commentaires
Vous ne l'avez peut-être pas remarqué, mais les défilés de la fashion week, à Paris, ont débuté "dans le calme, et sans anicroche"
, note le Monde
. Indifférence à l'invasion de l'Ukraine ? Nullement. En ouverture, le président de la Fédération de la haute couture et de la mode, Ralph Toledano, s'est adressé par communiqué à " la grande famille de la mode […] au moment où la guerre […]plonge le peuple ukrainien dans l'effroi et la douleur" pour l'inciter à "vivre les défilés […]avec la gravité qui s'impose". Selon les informations du Monde
, la rédaction des six lignes de ce communiqué "aurait fait l'objet d'intenses tractations entre les dirigeants de LVMH, Kering, Hermès et Chanel pour que le texte final ne comprenne pas le mot Russie"
.
Si Balenciaga a supprimé tous ses anciens posts pour les remplacer par les couleurs de l'Ukraine, comme le note Libé
, si Botter a fait défiler des mannequins aux couleurs du drapeau ukrainien, si Georgio Armani (87 ans) a fait lui-même défiler ses mannequins dans le silence, les géants LVMH et Kering sont "embarrassés"
par leur présence à Moscou, où le business continue as usual
. Le 26 février, la correspondante de l'AFP à Moscou Andrea Palasciano tweetait ainsi ces quelques photos d'une réception offerte par Louis Vuitton à ses clients moscovites, qui se sont empressés de les partager sur Instagram.
Et la presse française, dépendant de la publicité de ces deux groupes, est elle-même fort "embarrassée" par l'embarras de ces puissants annonceurs (voir par exemple cette interview, dans le Figaro Madame
, de l'historien de la mode Olivier Saillard, qui rappelle que "même pendant la seconde guerre mondiale, il y a eu des défilés avec de belles collections rigoureuses"
). C'est que Bernard Arnault (dont le Monde
rappelle qu'il a joué du Mozart à Moscou, en 2017, en compagnie de sa femme et d'un de ses fils) a la suppression de budgets publicitaires facile.
Plus hardi que ses confrères, le Monde
consacre tout de même une enquête à cet "embarras"
. Mais c'est un article factuel, prudent, où chaque mot marche sur des œufs, comme un autre article, quelques jours plus tôt, consacré à l'exposition Morozov à la fondation Louis Vuitton, à Paris. Aucun éditorial enflammé à ce jour, appelant vigoureusement les oligarques français du luxe Pinault et Arnault (par ailleurs propriétaires de médias) à opérer la même "révolution intellectuelle" que le gouvernement allemand, ou l'Union Européenne. L'embarras est contagieux.