Trump : Mussolini dans la campagne
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 15 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Ah, ils s'en sont donnés à coeur joie, les grands medias US. Invité ce week-end
d'une chaîne américaine historique, NBC, Donald Trump n'a pas été interrogé sur son programme, mais sur ... Mussolini. C'est Le Monde qui nous l'apprend. Pourquoi cette irruption du Duce dans la primaire ? Parce que Trump, twittos compulsif, a re-tweeté une citation de Mussolini ("il est mieux de vivre un jour comme un lion, que 100 ans comme un mouton"). Cette citation avait été twittée par un compte, @ilduce2016, créé par des journalistes du magazine en ligne Gawker, pour "bombarder" Trump de citations de Mussolini, afin de le "piéger" en montrant qu'il re-tweete n'importe quoi.
Gawker est un site à mi-chemin entre investigation et potins people, manifestement plus à l'aise pour piéger Trump, que lorsqu'il se retrouve les doigts coincés par le couvercle de la poubelle qu'il a tenté de soulever. Bref, c'est un site attrape-buzz, tous buzz mélangés, bons buzz et bad buzz, qui a joué avec Trump, et a réussi son coup : les "grands medias" n'ont parlé que de lui, pendant une journée.
De lui, et de Trump. Car l'autre bilan est celui-ci : une nouvelle journée d'obsession Trump. Saviez-vous que la phrase était de Mussolini, oui ou non ? Répondez ! Les citoyens veulent savoir !
Cette obsession ne vous rappelle rien ? Mais oui : Le Pen (Jean-Marie). Bonne réponse. Et l'obsession lepenoïde des medias français, plusieurs décennies durant. Des décennies durant, les medias français ont fait du Trump avec Le Pen, multipliant les manchettes, les enquêtes et les montages rétrospectifs pour démontrer la dangerosité du personnage. Sans jamais soupçonner que ces agressions à répétition consolidaient le noyau dur de son électorat. Et sans nullement empêcher Le Pen de s'installer dans le paysage, et d'y rester sous son plafond de verre, plafond auquel se heurte aujourd'hui, d'ailleurs, sa fille après lui. Cela s'appelle l'effroi promotionnel. Dans ces conditions, l'étonnant n'est pas que Le Pen (père) déclare aujourd'hui sa flamme à Trump. L'étonnant, c'est qu'il ne l'ait pas fait avant. Plus ils répèteront que Trump est un facho, qu'il est complaisant avec le Ku Klux Klan, plus ils le consolideront. Les Américains qui votent Trump achètent aujourd'hui de la trangression, et de l'énergie pure.
Mais à propos, qui est le candidat Trump ? Le fou furieux que dépeignent les medias français, reprenant les medias US, est-il le vrai Trump ? La perspective de plus en plus certaine de sa désignation comme candidat républicain commence à inciter les plus hardis des journalistes français à aller scruter les détails de son programme, qu'il expose à longueur de meetings, passé le moment des provocations rituelles. Et à réaliser que sur certains points (Planning familial, protection sociale), Trump est moins réac que certains de ses concurrents républicains (il est vrai que la barre est placée très haut). Comme dit Mediapart, Trump a sû surfer sur "le ras-le-bol des Américains, y compris conservateurs, contre les politiques néolibérales qu’ils subissent depuis trente ans". Expliquer les choses ainsi est certes moins attrape-clics que faire joujou avec Mussolini. Mais sans doute simplement plus juste.