Trump : le goujatgate, et ses conséquences...
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 36 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Donc, il aura fallu vingt jours. Vingt jours pour qu'émerge
une question accessoire, secondaire : que font exactement les forces spéciales américaines au Niger ? C'est le 4 octobre, que le sergent La David Johnson tombe dans une embuscade djihadiste au Sud du Niger. Le 16 octobre, lors d'une conférence de presse improvisée, Trump est interrogé sur le silence de la Maison Blanche à propos de cette embuscade. Apparemment embarrassé, il assure que des lettres de condoléances ont été rédigées "pendant le week-end". Le lendemain, 17 octobre donc, il passe un appel de condoléances à Myeshia Johnson, veuve du sergent Johnson, qui se trouve sur la route de l'aéroport, où elle va accueillir la dépouille de son mari. Dans la même voiture, se trouve une parlementaire démocrate, Frederica Wilson.
Et l'affaire démarre. Selon la parlementaire démocrate, Trump a eu une phrase indélicate, à propos du sergent Johnson, qui "savait pourquoi il avait signé". Tous les medias américains, co-garants de la bienséance et de la compassion, fondent sur le goujat. Et déploient leur impressionnante puissance d'enquête. A-t-il bien prononcé la phrase ? Sur quel ton ? Le téléphone était-il sur haut-parleur ? Qui a entendu quoi, dans la voiture ? Justement, le 21 octobre (quatre jours après l'appel, donc), Myesha Johnson fond en larmes au cours d'une cérémonie d'hommage à son mari. Parfait. On a la photo, coco !
(A noter que l'Express, en bas à droite, indique tout de même qu'il s'agit d'une "photo d'archives")
Sur Twitter, Trump se défend. Non, il n'a pas dit ce qu'on dit qu'il a dit. La parlementaire ment. La veuve ment. Tout le monde ment, sauf lui. Il a, comme d'habitude, des preuves (lesquelles ?). Et d'ailleurs, Obama, lui, n'appelait jamais les veuves de soldats américains tombés au combat. Interrogée, Myesha Johnson rectifie légèrement. Ce qui l'a fait pleurer, c'est que Trump, lors de ce coup de fil, a bafouillé sur le nom de son mari.
Ce n'est qu'au bout de six jours de goujatgate, s'ajoutant aux quatorze jours de silence officiel, que la presse américaine semble se demander, doigt sur le front : mais tiens, à propos, que font nos boys au Niger ? Quel était donc le but de cette mission ? Et de se souvenir que, selon la Maison Blanche en juin, 625 Américains se trouvaient alors au Niger, en mission de "contre-terrorisme". L'effectif serait depuis lors passé à 800. De la même manière que l'attentat de Mogadiscio, la semaine dernière, a attiré (brièvement) l'attention sur la bride laissée sur le coût du commandement américain en Afrique, avec son lot de bavures et de dommages collatéraux, la nullité humaine de Trump lève un tout petit coin du voile sur les forces spéciales au Niger. Trump aurait-il envoyé sa lettre de condoléances dans les délais, aurait-il correctement lu sa fiche et ses éléments de langage en appelant Myesha Johnson, que la guerre secrète pouvait continuer tranquillement, dans l'indifférence générale. A quoi tiennent les choses.