Trump : impossible ici, vraiment ?
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 129 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Depuis qu'il a surgi dans le champ de vision du journalisme politique et diplomatique
, chacun pressent que le problème Trump dépasse les catégories habituelles de ces nobles corps de métier. Tenter de comprendre les actes de Trump sous l'angle de la stratégie politique mène dans une impasse. Tenter de discerner chez lui une vision géopolitique mène dans une impasse voisine. Même si aucun media "sérieux" n'ose trop prononcer les mots, on sent bien que les principales clés sont à rechercher ailleurs : par exemple, du côté de la psychiatrie.
Un éditorialiste du New York Times, David Brooks, s'y essaie ce matin, analysant Trump, avant tout, comme un "infantiliste" : "la note dominante de sa présidence, c'est l'immaturité". A lire Brooks, tout adulte, à partir de 25 ans environ, serait censé maitriser trois compétences : rester assis tranquille, prendre la mesure de ses mérites et de ses insuffisances, et percevoir les pensées des autres. Trump n'en maitrise aucune.
Ce qui nous amène à la trumperie du jour. Si le président des Etats-Unis, à en croire le Washington Post, a livré au ministre des Affaires Etrangères et à l'ambassadeur russes, voici quelques jours, lors d'une entrevue dont les medias ont été évincés, des secrets classifiés (des projets d'attentats faisant appel à des ordinateurs portables embarqués dans des avions, si j'ai bien compris), ce n'est pas dans le but de "trahir" son pays. C'est pour démontrer à ses visiteurs la qualité de l'information secrète qui lui est délivrée chaque jour. "J'ai de la bonne info secrète, aurait-il déclaré à ses visiteurs. Tous les jours, on me donne de la bonne info secrète". Ah, être admiré d'eux ! Et même, pourquoi pas, aimé !
Pourquoi les journalistes ont-ils du mal à saisir cette dimension, et s'obstinent-ils à analyser les actions de Trump comme celles d'un adulte raisonnant ? Pour une série de raisons. En vrac : parce que, issus des meilleures écoles, ils sont formés à ça ; parce que, adultes eux-mêmes, ils peinent à saisir le fonctionnement d'un être de sept ans d'âge mental ; parce qu'il leur faut un adversaire à leur mesure, et qu'un enfant ne l'est pas ; parce qu'il est toujours frustrant d'accepter qu'il n'y a rien à comprendre. Mais aussi parce que, fondamentalement démocrates, ils ne peuvent pas croire qu'une élection au suffrage universel puisse produire un président de sept ans d'âge mental. S'agissant d'un dictateur héréditaire en Corée du Nord, oui, tout est possible. Mais pas chez nous !Ça ne peut pas arriver ici !
"It can't happen here" : c'est précisément le titre d'une dystopie oubliée d'un écrivain oublié, Sinclair Lewis, publiée aux Etats-Unis en...1935, et qui imaginait le pays sombrant dans une dictature autoritaire. Ce roman a été réédité en France, en 2016 (aux Editions de la Différence). Justement à propos de l'ascension d'un certain Donald Trump. Même si les événements ne prennent pas la direction d'une dictature autoritaire, mais de quelque chose d'autre, encore inédit et indéfinissable, son seul titre fournit un précieux élément d'analyse.