Trump et les services secrets : dissonance cognitive
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 43 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Fut un temps où la vie était simple. Sur le pont supérieur, le pouvoir, menteur, manipulateur, dissimulateur
, avec son bras armé des services secrets, multipliant les coups tordus inavouables, et les leurres dans lesquels tombaient les grands medias, façon armes de destruction massive en Irak. Dans les cales, le peuple des internautes, dénonçant les collusions et les connivences des premiers, et les complots réels ou imaginaires.
Chaque matin, on se frotte les yeux en découvrant les derniers tweets de Donald Trump. Et encore ce matin, en le voyant citer de manière approbative une interview de Julian Assange sur Fox News, interview dans laquelle le reclus de l'ambassade d'Equateur à Londres explique "qu'un ado de 14 ans aurait pu hacker Podesta (directeur de campagne de Hillary Clinton, NDR). "Pourquoi les démocrates ont-ils été si négligents" ? se demande Trump. La veille, Trump ironisait sur le report d'une réunion avec les grands patrons de l'espionnage US, réunion où devaient lui être fournies les preuves du "soi-disant hacking russe" (Trump), dont auraient été victimes les démocrates. "Très étrange" concluait le futur président.
Je ne suis pas le seul, je pense, à lire et relire ces tweets du matin, en me demandant si je suis bien réveillé.Le New York Times, par exemple, s'en étrangle. C'est normal. Le New York Times est pris dans la tenaille infernale, que forment Trump et Assange (ce dernier épaulé par The intercept, le site de Glenn Greenwald, proche de Snowden). Pour des raisons différentes, mais qui se rejoignent, Trump et Assange / Greenwald veulent la mort du New York Times (je parle évidemment par synecdoque : le New York Times représente ici le journalisme traditionnel, au sens où on l'entend en Occident depuis environ deux siècles). Le journal se défend avec ses armes, des articles composés des paragraphes soigneusement empilés les uns sur les autres, accumulant dans un ordre immuable des faits apparemment incontestables, mais dont les "trucs" de construction sont de plus en plus apparents. Il est certain que sa position serait plus forte si le Washington Post, autre pilier du journalisme états-unien dans sa meilleure tradition (le Watergate), n'avait pas été récemment pris deux fois en flagrant délit d'intoxication, à propos d'un prétendu "hacking russe" dans le réseau électrique américain et, en novembre dernier, à propos de la dénonciation intoxicatoire d' intox russes.
Dans quinze jours, le twittos Trump s'installera à la Maison Blanche. Continuera-t-il d'envoyer des bras d'honneur aux services secrets, avec lesquels il aura des briefings réguliers ? A ses propres gardes du corps du Secret Service ? Comment réagira le cerveau reptilien de la droite américaine, qui commence à gronder à l'idée d'un retour en grâce du diable Assange ? Court-circuit intellectuel. Dissonance cognitive. Quoi de plus résistant à toute analyse, que ce "very strange", signé Trump ? Ce n'est pas à Trump, d'émettre du "comme par hasard". Le rôle de Trump, à partir du 20 janvier, ce sera de produire de la bizarrerie, d'incarner la source mystérieuse de toutes les bizarreries mondiales. Plus rien ne sera censé rester bizarre à ses yeux. Sans trop vouloir s'avancer, il est probable que ça ne va pas très bien finir.