Trois semaines après, la sous-catastrophe du Bangladesh
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 56 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
C'est fait, ils ont réagi, ils sont sur le coup: France Inter est au Bangladesh
, et raconte comment les grandes marques de textile (sauf Wal-Mart et Gap) vont signer un accord instaurant des inspections indépendantes des ateliers de confection. La veille au soir, le 20 heures de France 2 était aussi à Dacca, palpant les épaisses grilles des ateliers qui, lors du prochain sinistre, interdiront encore les évacuations d'urgence, ou montrant les lances à incendie, hors d'usage, transformées en fil à linge. Un excellent reportage, conclu par un plateau du journaliste économique montrant les marques occidentales mises en cause, et concluant d'un audacieux: "on peut se demander si ces marques n'ont pas préféré fermer les yeux". En effet. Bref, trois semaines après l'effondrement le 24 avril de l'atelier de la banlieue de Dacca (1120 morts à ce jour) la grosse machine bouge, envoie ses reporters, braque ses projecteurs sur l'atelier mortel de nos petites fringues sympa (si vous avez raté le début, notre émission est ici).
Il n'aura fallu, au fond, que trois semaines. A ce rythme, ils auraient pu faire le voyage en bateau. Pourquoi trois semaines ? Quand se produit une catastrophe naturelle, même dans une région lointaine, tremblement de terre, tsunami, raz de marée, attendent-ils trois semaines ? Vous me répondrez: oui, mais s'agissant des tremblements de terre, le feuilleton ne s'arrête pas au jour de l'événement. On peut ensuite suivre les recherches des héroïques sauveteurs dans les décombres, la polémique sur les responsabilités, etc. Certes. Mais ce fut aussi le cas au Bangladesh, où l'on a retrouvé une miraculée 17 jours après l'effondrement. Miraculée qui a eu droit à quelques unes de journaux, à quelques articles ici et là, mais pas aux gros titres. Eût-elle seulement attendu quatre jours de plus...
Pourquoi trois semaines ? Question de budget ? Mais, chère France 2, renoncez donc à vos duplex imbéciles sur le pont de l'autoroute, devant l'Elysée, ou sous la neige. Avec l'argent de cent duplex, vous vous payez le billet d'avion. Attendre trois semaines, ce n'est pas seulement réduire l'événement au statut de fatalité naturelle. C'est le cantonner dans un statut encore inférieur, encore moins important, encore plus anecdotique, d'une sous-catastrophe. Quelques minutes après le reportage au Bangladesh, le journal de 8 heures de France Inter diffuse un autre sujet, de la plus haute importance: les dernières nouvelles du film d'Abel Ferrara sur DSK, "un DSK que seul Gérard Depardieu pouvait interpréter", conclut, énigmatique, le journaliste. Escort girls, limousines, champagne, finance internationale. Sur cet événement-là, pas question d'attendre trois semaines : la première bande-annonce a été mise en ligne pas plus tard que dans la nuit. Vivement que Depardieu se laisse convaincre d'interpréter une ouvrière du Bangladesh.