Travailleurs détachés : le mystérieux oubli du Monde et de Libé

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 58 commentaires

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Comme tout accord de compromis, l'accord européen sur les travailleurs détachés

peut être présenté sous l'angle du "verre à moitié plein", ou du "verre à moitié vide". Sans surprise, le gouvernement vend à l'opinion, depuis deux jours, une grande victoire diplomatique française, sur le thème de "l'Europe qui protège", contre le "dumping social". Les contrats de détachement seront limités à 12 mois (mais portés à 18 en cas de demande de l'entreprise détachante), au lieu de 24 auparavant. Sans davantage de surprise, le FN, la France Insoumise et ce qui reste du PS dénoncent "un accord de Perlimpinpin", qui n'entrera pas en vigueur avant 2022, et dont est par exemple exclu le secteur du transport routier. En avançant notamment un argument fort : la durée moyenne de détachement en Europe est de 98 jours (un peu plus de trois mois). Elle est même, en France, de...33 jours. La limitation à 12 mois n'aura donc, en France, qu'un effet très limité.

Deux quotidiens français, Le Monde et Libération, ont choisi de titrer sans réserve sur la victoire française. Jean Quatremer (Libé)célèbre "la victoire européenne de Macron", tandis que Cécile Ducourtieux (Le Monde) chante la "première victoire européenne" du président français (à noter que le titre a été renforcé. Le titre initial, mentionné dans l'URL, se contentait d'un plus sobre "les pays de l'union européenne trouvent un accord"). Pourquoi pas ? Sauf qu'aucun des deux communiqués de victoire signés Quatremer et Ducourtieux ne mentionne, fût-ce pour en réfuter la pertinence, ce bémol de la durée moyenne des contrats de détachement à 98 jours. Pas un mot. Silence. Certes, l'éditorial du Monde, lui, le mentionne. Lisez bien la phrase : "Les sceptiques souligneront que la disposition tient du symbole: la durée moyenne d’un contrat de détachement est actuellement d’un peu plus de trois mois". Autrement dit, si on considère l'accord de Bruxelles comme essentiellement symbolique, c'est qu'on est un "sceptique" (traduisez : un grincheux, un pisse-froid, un jamais content, le genre d'énergumène qui se calfeutre chez lui quand la France gagne la coupe du monde). A l'inverse, Quatremer mentionnait cette réserve dans son compte-rendu détaillé de l'accord, mais ne la retient pas dans son "analyse".

De deux choses l'une. Ou bien ces deux journaux considèrent que la dimension symbolique de l'accord n'est qu'un élément secondaire, ou bien quelque chose m'échappe. Je suis certain que les Décodeurs du Monde, et les Désintox de Libé, vont certainement nous éclairer bientôt. Je vous tiens au courant.

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