Transparence fiscale : l'opaque "soutien" de la France

Daniel Schneidermann - - Nouveaux medias - Investigations - Le matinaute - 60 commentaires

C'est l'histoire d'une "note blanche", non signée, circulant à Bruxelles à propos de lutte contre l'optimisation fiscale des multinationales. Le Mondeen révélait l'existence le 21 avril. Combat essentiel : il s'agit de savoir si les gagnants de la mondialisation, explique Le Monde, "paieront leur part d'impôt là où ils engrangent leur profit". Combat de longue haleine, qui semblait gagné depuis qu'en février, un accord avait été trouvé entre États-membres. Les multinationales établies en Europe devraient publier chaque année leurs données financières, pays par pays. Alleluia ! Même Les Échossaluaient le 3 mars cette victoire, "soutenue par la France".

Là-dessus arrive cette note, qui préconise d'opacifier sérieusement cette transparence. Ces données seraient divulguées seulement au bout de six ans. Et elles ne concerneraient que les pays de l'UE et les paradis fiscaux en liste noire, pas les autres pays. Et cette note, écrit Le Monde, serait soutenue par plusieurs États, au premier rang desquels, devinez qui, la France. Nooon ! La France ? Ce même pays qui s'affirme en pointe contre l'optimisation fiscale des multinationales ? Alors que Bercy se refuse officiellement à tout commentaire, "des sources proches du dossier" confirment pourtant au Monde leur soutien à "une clause robuste de six ans", pour ne pas handicaper les multinationales opérant en Europe.

On en était là, dans un classique débat fiscal sur fond de milliards d'euros à récupérer, assaisonné de la dose habituelle d'hypocrisie nationale (je soutiens officiellement la transparence, en la torpillant en coulisse) quand le site indépendant Contexte, ayant examiné les métadonnées de la fameuse note, y a relevé, en qualité d'autrice, le 23 avril, le nom d'une spécialiste de la fiscalité au MEDEF. Badaboum ! Et ambiance Waterloo chez Bruno Le Maire, où l'on a dû reconnaître avoir transmis à Bruxelles cette note du MEDEF, mais où on assure l'avoir "profondément remaniée". En quoi consistent ces "profonds remaniements" ? Bercy ne l'a hélas pas précisé. Qui oserait prétendre que les gouvernements successifs ne sont que les petits télégraphistes du MEDEF ? Mais non. Ils remanient "profondément". Profond est notre soulagement.

À ma connaissance, ce scoop de Contexte, largement repris sur les réseaux sociaux et par les ONG de lutte contre l'évasion fiscale, n'a été repris pour l'heure par aucun média traditionnel, hormis le Huffington Post, dans un article très complet. Auditeurs matinaux de Dominique Seux sur le service public, lecteurs des Échos qui pensez ingénûment que la France "soutient" le combat pour récupérer les milliards perdus pour ouvrir des lits d'hôpitaux et des demi-classes, vous n'en saurez rien.  Même Le Monde, d'ailleurs, n'a pas repris le scoop, ce qui ne saurait être qu'une question de temps.

Mise à jour, 10 heures : non, le silence des médias n'est pas complet. Ecouter l'excellente chronique de Nicole Ferroni, sur France Interhttps://www.franceinter.fr/emissions/le-billet-de-nicole-ferroni/le-billet-de-nicole-ferroni-28-avril-2021

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