Temporaire et exceptionnel, nos nouveaux maîtres

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 76 commentaires

"Tout bagage abandonné entraînera l'intervention des équipes de déminage". Ce n'est rien, cette phrase. C'est une phrase que l'on n'entend même plus, au début d'un voyage en train. Une phrase qui fait partie du paysage. Une phrase dont il faut faire l'effort de se souvenir qu'elle nous ramène à "la menace terroriste", dont nos chaînes préférées rappellent périodiquement qu'elle n'a jamais disparu. Quel président de la SNCF osera supprimer cette phrase des messages diffusés dans les voitures ? Rien de plus facile que d'instaurer une précaution, ou une restriction, si minuscule soit-elle (et l'audition forcée de cette phrase par les voyageurs est un bien minuscule désagrément, comparé à un attentat dans un train). Rien de plus difficile, pour une administration, un appareil d'État, que de lever une restriction, que de décréter la fin ou l'allègement d'un état d'urgence, terroriste ou sanitaire. Tout pousse l'administration à la circulaire, au fichier, à l'attestation, au coup de tampon.

Inaugurée lors des Jeux olympiques de 2018, renforcée par le Covid en 2020, la reconnaissance faciale est apparemment utilisée en Russie, à titre expérimental, contre les partisans de Navalny, nous informe notre confrère de Télérama Olivier Tesquet (voir  notre dernière émission avec lui ici), reprenant un récit de l'agence Bloomberg. L'agence raconte l'histoire d'Anna Borzenko, 65 ans, qui a passé une nuit en garde à vue à Moscou, après avoir été reconnue dans une manifestation pro-Navalny. 

Quel rapport avec l'annonce SNCF ? Aucun, bien entendu. Strictement aucun. Si le Conseil scientifique, en France, vient, dans un avis, d'autoriser le passe sanitaire (bien minuscule désagrément, comparé à une flambée de l'épidémie) "à titre temporaire et exceptionnel", on peut faire confiance au gouvernement pour accorder à ces deux adjectifs tout le respect que méritent ces nouveaux maîtres. Et de toutes manières, la Russie, c'est la Russie. Poutine, c'est Poutine.

Toujours en France, raconte aujourd'hui Libération, un policier d'une brigade anticriminalité de l'Essonne, Yann T., a été confondu par les effets conjugués de la vidéosurveillance et des écoutes judiciaires, après un tir de LBD qui a éborgné Adnane Nassih, 19 ans. La vidéosurveillance a fait voler en éclats sa version des faits, tandis que les écoutes révélaient des dialogues comme celui-ci : "Quelle chance j’avais à le toucher à l’œil, l’enculé, sans déconner. Il peut pas se la prendre dans le cul bordel, là, la bastos". Moralité : les outils ne sont que des outils. Tout dépend quelles mains les manient. Mais il y a des mains plus puissantes que d'autres.


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