Sous cloche : naissance d'un élément de langage
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 52 commentaires
Et le pays ne fut pas mis "sous cloche"
. C'est l'essayiste ultra-libéral Mathieu Laine qui s'en félicite ce matin au micro de France Culture, essayiste dont le dernier essai dénonce justement " l'infantilisation"
de "cet État qui nous veut du bien"
. "On a évité la mise sous cloche !"
est le nouveau chant de victoire de la Macronie, depuis que la fermeture des Ikea, au dernier moment, est sortie du chapeau à la place du confinement. "Si on peut éviter de mettre un pays sous cloche, alors il faut l’éviter", confie par exemple François Bayrou au Figaro
, dans une enquête dans laquelle on apprend aussi que Véran, Le Maire et Darmanin ont dû tenir la main de Castex, qui peinait sur sa dernière allocution de cinq minutes (qui a cafté ?).
Expression à l'origine horticole, la "mise sous cloche" désigne la protection d'une plante fragile des variations de température, par une cloche de verre. On ne l'a jamais tant utilisée, en la retournant dans un sens négatif, que depuis que Macron, et Macron seul, contre Véran, et contre Delfraissy, a décidé de tenter d'éviter un troisième confinement. La non-"mise sous cloche", c'est donc le confinement évité, épargné au peuple (dans le cas contraire, il s'agit une mesure de distanciation certes radicale, mais inévitable). C'est donc dans un sursaut d'audace, que Macron a pris "une décision de courage et d'intérêt général"
(un proche, au Figaro
), " a sauvé l'exception française"
(un membre du premier cercle élyséen au Figaro
), faisant mentir la manchette historique du Journal du Dimanche
de la semaine dernière ( "Qui peut honnêtement soutenir que nous étions dans l'erreur ?"
demande néanmoins hardiment son directeur Hervé Gattegno).
Le pays ayant donc évité la cloche, il est prié de ne pas se plaindre d'être, en échange, soumis à quelques contrôles de couvre-feu, de préférence en présence du ministre de l'Intérieur et de quelques caméras qui se trouvent là par hasard, aux péages d'autoroute du dimanche soir. Même si ces contrôles consistent apparemment à verbaliser entre autres les automobilistes retardés... par les opérations de contrôle, les verbalisés peuvent s'estimer heureux. Ces contrôles ne sont ni un quadrillage policier, ni un flicage des Français, ni une "infantilisation"
. Ce sont tout simplement des contrôles, mesure certes radicale, mais indispensable, etc etc.