Sotto, Schoenberg, Ockrent, et les autres…

Daniel Schneidermann - - Déontologie - Le matinaute - 64 commentaires

Pour tout vous dire, je n'ai jamais vraiment compris pourquoi ces histoires d'encouplements avec le pouvoir étaient si sensibles, dans la population des stars de la télé. Dans mon ingrate activité, je m'y suis heurté plusieurs fois. Je suis déjà chroniqueur médias du Monde, quand en 1992, déboule Christine Ockrent à la présentation de Soir 3Son couple avec Bernard Kouchner, ministre de la Santé, est public. Mais ce lien place son journal dans une situation inédite, et délicate : comment va-t-elle rendre compte, par exemple, de manifestations de soignants contre la politique de son mari ? Je m'en amuse dans ma chronique. Appel furieux de l'intéressée à Jean-Marie Colombani, alors rédacteur en chef, qui m'en fait part aussitôt avec ce demi-sourire entendu qui le caractérisait si bien. Ces choses-là ne devaient pas se dire, dans un journal sérieux.

2005. La liaison de la présentatrice du 20 heures de France 2, Béatrice Schoenberg, avec le ministre de la Ville Jean-Louis Borloo, n'est pas publique, mais elle commence à faire l'objet de papiers plus ou moins allusifs. Sur le plateau d'Arrêt sur images, sur France 5, je fais réagir un opposant politique. Appel furieux (bis) de la directrice de l'information de France 2, Arlette Chabot, à qui la direction de France 5 avait transmis l'enregistrement, avant diffusion. Appel que je retranscris aussitôt sur mon blog de l'époque, le Big Bang Blog (les plus anciens se souviennent). Et qui ne fut sans doute pas pour rien dans la décision d'éviction de notre émission. Le même nerf a été touché.

Avec la révélation par le Figaro de la relation entre Thomas Sotto et la chargée de com' du Premier ministre, Mayada Boulos,  tout a changé, et rien n'a changé. Jusqu'à l'enquête du Figaro, aucune allusion dans la presse : rien n'a changé. Qui savait ? La direction de France Télévisions savait-elle ? Mystère. Le Figaro sort le scoop : tout a changé. Immédiatement, Sotto se "met en retrait" de ses interviews politiques (tout a changé), mais pas de toutes ses émissions (rien n'a changé). Il est furieux de cette démission forcée, qu'il juge injustifiée (rien n'a changé). Comme nous l'avons révélé ici, il n'avait d'ailleurs nullement pris la décision lorsque le Figaro l'a appelé.

Cette nervosité pose une question. Quel lourd secret est ici trahi ? Quel nerf est touché ? Faut-il encore une fois remonter aux Illusions perdues ? (Excellent film, à propos). Manifestement, tout est "assumable" par les vedettes de l'audiovisuel. Leurs salaires, leurs parti-pris, leurs ménages (encore que la pratique se soit distendue), leur amateurisme dans l'urgence, leur complaisance dans l'ouverture de fenêtres d'Overton, pour ne pas parler de leurs comportements éventuels d'agresseurs sexuels. Mais le lien, amoureux ou matrimonial avec le pouvoir, non. En cette époque décomplexée, pourquoi ne pas l' "assumer", comme le reste ? Un journaliste n'est-il pas au moins autant "orienté" par ses origines sociales et son niveau de vie, que par ses choix matrimoniaux ?

Même si c'est individuellement plus ou moins injuste, même si les intéressés peuvent de bonne foi se proclamer, et se croire, intellectuellement indépendants de leurs partenaires, ces liaisons révèlent une réalité systémique indéniable. La proximité amoureuse de l'audiovisuel, notamment public, et du pouvoir, résume en une image irréfutable toutes les autres proximités, politique, sociologique, idéologique, et j'en oublie.


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