S'informer sur Chavez, mode d'emploi

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 185 commentaires

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Avec Hugo Chavez, disparait une incarnation sans équivalent de la prise en otage de l'information par l'idéologie

, dans le système médiatique (notamment français). Un enjeu acharné, sans merci, entre "pro" et "anti", comme s'il ne pouvait pas exister, sur la "révolution bolivarienne", d'approche contradictoire des faits. Sur tous les aspects de la situation vénézuelienne, on se battit pied à pied, des années durant, entre médias dominants, Le Monde en tête, et médias alternatifs (acrimed et Le Monde diplo menant la résistance). Sur le respect de la démocratie, du pluralisme médiatique, sur les incessantes escarmouches entre le pouvoir et les médias privés au Vénézuela, ce n'étaient, ici, qu'arguments et contre-arguments, comme s'il était impossible à quiconque de délivrer une information fiable sur la complexité des rapports de force locaux.

Il est peu probable que la mort de Chavez désarme les combattants. Sur la situation économique dans laquelle le commandante laisse son pays, il faut lire par exemple le tableau apocalyptique, brossé par Les Echos, de la situation "désastreuse" de cette économie, ruinée par les "effets pervers" de la rente pétrolière Effets pervers ? "Hugo Chavez, écrit Yves Bourdillon, disposait ainsi d'une cassette personnelle dotée de dizaines de milliards de dollars pour arroser dans la plus grande opacité ses obligés, qu'il s'agisse de groupes sociaux à l'intérieur du pays ou d'appuis à sa « révolution bolivarienne » sur le continent sud-américain". Quelle horreur, que cette manne déversée par l'Etat sur ses "obligés", à savoir les pauvres. Mais le meilleur de Bourdillon est dans ses concessions: "Il faut toutefois reconnaître que le régime Chavez n'a jamais basculé dans la dictature absolue ; les partis d'opposition fonctionnent presque librement et les cas documentés d'arrestations arbitraires ou de tortures d'opposants sont quasi inexistants. Le régime a aussi organisé nombre d'élections dont les dernières n'étaient, apparemment, pas caractérisées par des fraudes massives". Savourons ce "toutefois", ce "presque", ce "quasi", ce délicieux "apparemment".

Autre enjeu d'empoignade, l'insécurité et la criminalité au Venezuela. Dès les petites heures du mercredi, Le Monde a dégainé un article de son spécialiste de l'Amérique latine, Paulo A. Paranagua, rappelant que le pays est "le deuxième plus meurtrier au monde". La faute à Chavez ? Ce n'est pas dit, mais c'est sous-entendu, si fort que tout le monde l'entend. Un coupe-gorge, le Vénézuela ? Incontestable: même Maurice Lemoine, du Monde diplo, le reconnaissait lui-même en 2010. Mais le régime chaviste en est-il responsable ? Les choses sont plus compliquées, et le long papier de Lemoine remonte aux racines de la violence vénézuelienne, sur fond de boom pétrolier...au début du XXe siècle. Pour autant, Chavez n'y est-il vraiment pour rien ? Pas tout à fait. "Le gouvernement bolivarien ne serait-il pas tombé dans l'analyse réductionniste qui attribue la violence à la seule misère ?" interroge Lemoine, qui répond dans une savoureuse litote: "on peut le supposer". Bref, reconnaissons-le: au prix d'un surf acrobatique, et d'un patient slalom entre les suppositions, les concessions, et les adverbes restrictifs, il est possible de s'informer sur le Vénézuela. De quoi se plaint-on ?

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