Siné Mensuel, collector
Daniel Schneidermann - - Médias traditionnels - Humour - Le matinaute - 19 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Il l'avait dessinée lui-même. En février. Le 15 février exactement.
Il ne s'était pas fatigué. Il avait fait sobre. Une simple pierre tombale. Bob Siné, 1928-2016. Et une couronne : "fauché en pleine vieillesse". "Si je casse ma pipe, on aura la prochaine couv' " a-t-il dit, sur son lit d'hôpital. Au moins, ça, c'était fait. Après, l'équipe de Siné Mensuel n'a plus eu qu'à préparer les 39 autres pages du numéro hommage au patron, avec tout plein de dessins, dont celui ci-dessous, son préféré, parait-il.
Enfin, on espère pour l'équipe qu'ils avaient tout préparé avant. Ils auraient eu bien tort de se gêner. On ne peut pas dire que l'événement les ait pris par surprise. Le patron lui-même, sur son lit, était en discussion non stop avec la mort. Jusqu'au bout, il aura tenté de lui faire lâcher prise, de grignoter semaine après semaine. On ne sait pas quels furent ses arguments. Peut-être, pour certains, inavouables. Bref, comme on sait, il a perdu.
Et pourtant, il avait l'habitude, des discussions avec les icônes de la Révolution mondiale, devenus pour certains des Grands de ce monde. C'est une des choses que découvriront les jeunots comme moi dans le numéro hommage. En soixante-cinq ans de travail, il a dialogué avec du beau linge. Malcolm X. Jacques Prévert. Umberto Eco. Mais aussi Ahmed Ben Bella, premier président de l'Algérie indépendante. Alors incarcéré en France, le futur dirigeant appelle sans prévenir le dessinateur-compagnon de route du FLN : "un jour que je sirotais tranquillement mon pastaga quotidien, je reçus un coup de grelot d'un mec à l'accent maghrébin se présentant comme étant Mohamed Ben Bella". Je vous laisse lire la suite. Bref, Ben Bella, devenu président, le charge d'une lettre pour Fidel Castro. Voilà Bob à La Havane. "Fidel entre brusquement par la fenêtre, précédé de trois ou quatre gardes du corps. Quel choc !" Quelques décennies plus tard, il en est bien revenu. "J'ai milité pendant des années pour les Cubains, et Fidel est vite devenu un sale con qui n'aurait pas hésité à me foutre en cabane".
On en connait qui, pour moins que ça, auraient publié de beaux volumes de mémoires. Siné (à la demande, détail cocasse, de Philippe Val) avait égrené ses souvenirs dans une suite de numéros hors-série de Charlie Hebdo, intitulés "Ma vie, mon oeuvre, mon cul". Tiens, un dernier : Bouteflika, alors ministre des Affaires etrangères algérien, rêve de visiter le Club Med : "il avait eu vent de la présence de jolies filles dans le club. Sachant que j'y étais bien introduit, et tenant à passer inaperçu, il me demande de l'emmener pour draguer à l'envi". Etc etc. Si vous n'avez pas encore compris qu'il faut vous précipiter sur ce numéro collector (qui, en outre, pulvérise l'infâmante accusation d'antisémitisme), je ne sais pas bien comment vous l'expliquer.