Sarkozy Cahuzac : un complot, mais lequel ?
Daniel Schneidermann - - Complotismes - Le matinaute - 48 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
C'est la collision de la rentrée : Cahuzac et Sarkozy se partagent à parts égales les journaux radio du matin.
Cahuzac, parce qu'au premier jour de son procès il a assuré que l'ouverture d'un compte en Suisse, en 1992, était à l'instigation de l'état-major de Michel Rocard, pour financer une éventuelle campagne présidentielle en 1995. Coup de théâtre. Sensation. Et feuilleton matinal immédiat : qui savait ? Et plus précisément : Manuel Valls, membre du cabinet du premier ministre Rocard jusqu'en 1991, était-il au courant ? demande sur Europe 1 Thomas Sotto à l'écrivain Jean-Luc Barré, auteur d'un livre d'entretiens avec Cahuzac. Silence radio de l'auteur.
Si Sarkozy partage avec lui les journaux du matin, c'est parce que le parquet de Paris vient de requérir son renvoi en correctionnelle pour financement illégal de la campagne électorale de 2012 dans l'affaire Bygmalion. Plus précisément (attention les dates sont importantes) ce réquisitoire, signé le 30 août, a fuité sur Europe 1 au matin du 5 septembre, soit quelques heures avant l'ouverture du procès Cahuzac. Quelques heures : l'argument du "rideau de fumée", de la savante diversion organisée par le pouvoir, (une nouvelle "affaire sarkozy" pour atténuer l'effet de souffle d'une éventuelle mise en cause de Valls dans l'affaire Cahuzac) est tendu sur un plateau aux sarkozystes, qui ne manquent pas de s'en saisir. Vous pensez que c'est par hasard ? tonne Frédéric Péchenard, directeur du parti de Sarkozy, devant Lea Salamé sur France Inter. Le procureur de Paris étant soumis à l'autorité du gouvernement, tous les soupçons sont en effet autorisés, et légitimes.
Le plus intéressant, dans cet axe de défense, est la manière dont il complète notre série d'émissions d'été : dans la rhétorique politique, le complotisme est omniprésent. De toutes les catégories socio-professionnelles, les responsables politiques sont sans doute la plus gangrenée par le complotisme. Le politique voit des complots partout. De son point de vue, il n'a d'ailleurs pas totalement tort : il y a beaucoup plus de (vrais) complots visant les politiques, que de complots visant les professeurs des écoles ou les infirmières.
Encore faut-il choisir entre les complots. Sur Europe 1 toujours (décidément) l'éditorialiste politique Antonin André avance une interprétration audacieuse : en fait, ce réquisitoire sert Sarkozy. Suivez le raisonnement : ce nouveau complot de la Justice contre Sarkozy va renforcer autour de lui la solidarité de sa fanbase, persuadée que la Justice veut la peau de l'idole. Il va en outre dissuader la participation des "modérés", écoeurés, à la primaire de la droite et du centre, dissuasion présumée favorable à Sarkozy (le modéré est plus volontiers juppéïste que sarkozyste). Si l'on comprend bien, le parquet de Paris a donc servi Sarkozy, en faisant mine de le persécuter. Bien joué. C'est un grand avantage des théories complotistes : chacun peut choisir celle qu'il préfère.
Sarkozy-Cahuzac, by Google Images