running tragique à Verdun

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 154 commentaires

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Scandale ! Des ados courent entre les tombes de Verdun. Des ados franco-allemands en tee-shirts de couleurs vives. On ne court pas entre les tombes ! s'insurge aussitôt la droite twitteuse, étrangement relayée par la présentatrice de BFMTV Appoline de Malherbe. Scandale ! Apocalypse ! Suprématie du festif indécent sur la commémoration solennelle et recueillie ! Reviens Philippe Muray, ils sont devenus fous ! Evidemment, la commémoration offre aussi, simultanément, d'autres images plus traditionnelles (Hollande et Merkel rallumant un bidule dans une crypte tout en clair-obscur, et Hollande abritant le duo en tenant lui-même le parapluie), mais la seule qui compte, la seule qui va faire le buzz, c'est ce running adolescent entre les tombes.

Quand voici qu'apparait un autre plan, aérien, filmé d'un drone. Surprise : cette course apparemment désordonnée avait une forme, celle de deux lignes qui se précipitent, dans un tragique ralenti, vers la collision inéluctable. Les ados qui, filmés au sol, se contentaient de courir entre les tombes, façon pub pour chewing gum des années 70, prennent la forme de deux armées se jetant l'une contre l'autre, et que vient faucher la mort, longue silhouette grise sur échasses. Retournement : soudain, le running prend un sens, et rejoint -ouf !- le tragique. Ouf, il y aura bien du militaire dans le spectacle, une évocation explicite de la boucherie.

Que cherche le spectacle de Verdun, conçu par Volker Schloendorff ? A provoquer le scandale, pour aussitôt le désamorcer, lui donnant honte de lui-même ? Ce décalage entre les deux plans, plan au sol et plan aérien, a-t-il été "pensé" ? Plus largement, à quoi sert une commémoration ? A honorer ? A transmettre ? Ce sont deux finalités très différentes. Sans compter qu'elles n'épuisent pas le sujet. Si l'on honore, qu'honore-t-on ? Un sacrifice ? Une boucherie ? Honore-t-on avec honte, ou fierté ? Et si l'on transmet, que transmet-on ? Comme le montre bien son silence dans la piteuse affaire Black M., l'Etat, aujourd'hui, n'en a pas la moindre idée, et n'offre d'autre spectacle que sa tétanisation devant les cris de la droite murayienne. Verdun nous parle d'aujourd'hui.

Voir aussi la chronique de Alain Korkos : Schloendorff filme Verdun : un effet Koulechov

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