Rubirola et les caméras
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 46 commentaires
Premier contact rugueux entre une matinale de France Inter et les vainqueurs de Marseille. Dimanche matin, Benoit Payan, nouveau premier adjoint à la nouvelle maire de Marseille Michèle Rubirola, est invité en duplex par Amélie Perrier. "Nous avons invité Michèle Rubirola, elle ne souhaite pas s'exprimer. C'est pourtant bien elle, la voix de Marseille ?"
commence, perfide, la journaliste. "C'est la question que vous me posez ?" "Oui, on est étonnés qu'elle ne veuille pas s'exprimer." "Faut pas essayer de faire une polémique avec ça, ça n'a pas de sens"
. Perrier, pas démontée : "Vous, Benoit Payan, on dit que vous êtes son mentor, malgré vos vingt ans d'écart."
Payan, pas plus démonté :"Vous êtes en train de parler d'un moment historique, et vous attaquez par trois questions invraisemblables"
. Et le même, à propos du "suspense" du troisième tour, suivi en live, la veille, par les chaînes d'info : "Quand on a attendu 25 ans, on peut attendre trois ou quatre heures de plus"
.
Le thème d'une Rubirola, innocente médecin sexagénaire, oie blanche en politique, cherchant ses mots, et sous contrôle de son mentor, forcément masculin (et son cadet de vingt ans !) a commencé à se faufiler en filigrane, dans les reportages des envoyés spéciaux. "Avant chaque réponse, la maire se tourne vers eux, les interrogeant du regard, quand elle ne laisse pas ces deux piliers du Printemps répondre à sa place",
racontent par exemple dans Le Monde
Ariane Chemin et le correspondant à Marseille Gilles Rof, dans leur récit du jour de victoire du Printemps marseillais.
Le journaliste politique renvoyé à l'insignifiance de ses questions politiciennes par un politique, qui l'accuse de ne se préoccuper que de subalterne, est un grand classique. Dans les motivations du politique grognon peuvent se mêler le bon et le mauvais. L'exaspération de voir les questions importantes - et par exemple, à Marseille, la pollution des bateaux de croisière - passer au second plan derrière les questions de cuisine, et l'intimidation pour esquiver les embarrassantes "questions de personne". Lesquelles sont pourtant légitimes, pourvu qu'elles restent à leur place. Qu'est-ce qui est important pour les bronches des Marseillais, citadins les plus pollués de France ? L'arrêté qui interdira, ou limitera, les escales des croisiéristes, ou l'âge des artères de la main qui signera cet arrêté ?
C'est d'ailleurs bien le même Gilles Rof, dans sa série sur "la guerre du Trône à Marseille" qui, en octobre dernier, racontait le "coup de sang" de Rubirola quand un vote bidon de la section EELV locale refusa la candidature d'union avec toutes les gauches, et l'amorce de sa dissidence victorieuse. Apparemment, l'oie blanche ne laissait pas alors les autres répondre à sa place. Ce qui amène à formuler une hypothèse invraisemblable : et si c'était vraiment
Michèle Rubirola, une novice sexagénaire impressionnée, oui, par les meutes de photographes et les rafales de questions des radios avides de reprises, qui avait imposé l'union, et l'avait menée à la victoire ? Et si, d'ailleurs, cela racontait en creux comment toutes les luttes de terrain, à Marseille, se sont menées, jusque-là, à l'écart des meutes de caméras ? S'il y a des enseignements politiques à tirer de la "surprise de Marseille", on peut aussi chercher dans cette direction-là.