Rokhaya Diallo, Alex Jones, et autres attrape-clics

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 25 commentaires

Au rang des sujets que nous vous avons évités cette semaine, mentionnons la lutte sans merci, sur Twitter, entre Raphaël Enthoven, philosophe multimedia, et Rokhaya Diallo, militante et activiste, non moins multimedia (y compris sur ASI, voir ici). Né d'une interview au Point d'Enthoven, titrée "j'aimerais être une femme noire pour qu'on arrête de m'emmerder", le clash s'est étiré en longueur toute la semaine, comme le chewing gum que l'on torture désespérément devant un film où l'on s'est égaré. Pas la peine d'insister, je ne vous en livre pas les détails, et je ne vous donne même pas les liens, reconstituez la chose tout seuls comme des grands. 

Si nous avons renoncé, c'est (entre autres), parce que certains d'entre vous, dans les forums, nous reprochent d'être déjà trop twitto-centrés. Je ne sais pas très bien ce que signifie ce reproche, mais il existe. Et aussi, parce que nous avons été mobilisés par quelques sujets de moindre importance, comme les embarras de la gauche britannique avec l'antisémitisme, ou de la gauche allemande avec les migrants.

Cela dit, j'y reviens, je ne sais pas ce que signifie le reproche d'être twitto-centrés. Certes, Twitter ne doit pas nous aveugler. Et oui, je suis en mesure de confirmer qu'il y a une vie en dehors de Twitter. Mais il me semble (je peux me tromper) que c'est aujourd'hui sur Twitter, que se donnent à lire le plus clairement certaines lignes de front en activité. En l'occurrence, la querelle chien-chat Enthoven-Diallo peut certes se lire comme une simple baston entre deux twitto-addicts. Mais elle peut aussi s'analyser comme LE front de la redistribution de la parole publique, entre dominants et dominés. Si l'on considère que les réseaux sociaux ont fait émerger la parole des dominés, parole foisonnante,  interpellante, cacophonique, contradictoire, où régnait seule l'apaisante et magistrale parole des dominants, alors le dialogue public entre une femme noire, fille d'un mécanicien et d'une professeure de couture, et un homme blanc bien né, construit bien le lieu exact où se produit, se négocie, se conquiert, la redistribution. Partant, l'observer à la loupe est légitime, voire obligatoire.

Dans un tout autre registre, les oscillations de la direction de l'entreprise Twitter par rapport au conspirationniste-vedette étatsunien Alex Jones méritent d'être observées avec la même loupe. On a raconté ici comment Twitter, à la différence de ses camarades GAFA, ne parvenait pas à se forger une doctrine sur le conspi-trumpiste. Maintenir son compte ? L'interdire ? Jusqu'où donner de l'écho aux délires les plus patents, au nom de la liberté d'expression ? Twitter a décidé hier de fermer une fois pour toutes le compte de Jones, après que Jones aît houspillé un peu trop fort un journaliste de CNN, et surtout se soit approché un peu trop près du big boss de l'Oiseau bleu, Jack Dorsey, en marge d'une audition du Congrès de Washington (l'histoire de LA photo historique est ici), où ce dernier répondait de ses multiples forfaits devant une commission d'enquête. Petites causes, grands effets. La péripétie peut sembler secondaire, mais c'est plus important qu'il y parait. Moins important que l'enjeu climatique ? Voire. Le climato-scepticisme se nourrit aussi du conspirationnisme en ligne, comme le rappelait sur notre plateau, voici quelques années, le journaliste du Monde Stéphane Foucart. Toutes les batailles sont liées.


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