Réformateurs : les mots aussi ont une histoire
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 70 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
"Les "réformateurs" tentés par Macron", annonce le bandeau de BFM.
Le mot "réformateurs" est entre guillemets. De la difficulté de nommer les phénomènes politiques, quand la politique court trop vite, plus vite que les étiquettes qu'on tente de lui accrocher. Comment les appeler, cette vingtaine de députés PS qui ont signé un texte revendiquant un "droit de retrait" de la future campagne de Hamon, tout en démentant pour la plupart loucher, lorgner, être tentés (rayez les mentions inutiles) par Macron ? Des "pro-Valls" ? Des "pro-Hollande" ? Ce serait faire référence au passé. Les deux sont sortis du jeu. Des "pro Loi travail" ? Des "ElKhomristes" ? Ou alors, faisant référence à l'avenir, des Macro-enthousiastes ? Des Macro-compatibles ?
On pourrait, après tout, les appeler les frondeurs. C'est rigolo, le frondeur frondé, aussi drôle que l'arroseur arrosé. Mais il faudrait distinguer avec les frondeurs d'hier, dont fut Hamon. Néo-frondeurs ? Antifrondeurs ? Contre-frondeurs, comme il y eut la contre-réforme ? Alors les journalistes politiques ressortent un de ces mots fourre-tout, un de ces mots multi-usages du sabir médiatico-politique. Spectaculaire, à quel point le mot s'est vite imposé. Tôt mardi matin (ci-dessous à droite) le groupe n'est encore désigné que par l'article indéfini "des". Il ne leur faut que quelques heures pour devenir "les réformateurs", avec ou sans guiillemets, mais avec article défini. La supra-rédaction politique les a installés.
Moins innocente qu'il y parait, et même entre guillemets, l'appellation revendique implicitement le monopole du mouvement. En creux, elle précipite Hamon du côté de l'immobilisme, du statu quo, du conservatisme, de la glaciation. Baptiser "réformateurs" les PS macronisables, c'est donc adopter le vocabulaire que la droite, ces dernières années, a réussi à imposer : la réforme est à droite, et le conservatisme à gauche. Mais le mot pourrait aussi être un cadeau empoisonné. Même si les petites mains qui fabriquent les bandeaux de BFM ne s'en souviennent pas, ce mot, dans l'Histoire politique de la France, a une histoire : aux législatives de 1973, se baptisèrent "réformateurs" une poignée de centristes (emmenés par Jean Lecanuet et le tellement jeune, tellement moderne, tellement sexy, tellement casseur de tabous Jean-Jacques Servan-Schreiber) qui se revendiquaient, déjà, ni à droite ni à gauche. Ils s'étaient dotés d'un slogan porteur de rêve : "le changement dans le calme". Cinq ans plus tard, ils tombèrent où ils devaient tomber : dans l'escarcelle de la droite, alors giscardienne. Vive l'Histoire !