Racisme aux US : en épluchant le Kansas star et Philly.com...
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 36 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Je n'aurais pas cru citer ici un jour Philly.com. Plilly.com est un site d'info de Philadelphie (Pennsylvanie).
Et c'est ce site qui a fait fuiter les étranges phrases de Donald Trump, à propos des alertes à la bombe visant des centres juifs aux Etats-unis (une centaine ces derniers jours), et de la vandalisation d'un cimetière juif à Philadelphie (500 tombes profanées) : "parfois le contraire peut être vrai', a dit Trump. "Quelqu'un le fait pour que les autres aient l'air mauvais".
Ces puissantes analyses ont été émises lors d'une réunion à la Maison Blanche des ministres de la Justice (attorney generals) des Etats américains. C'est l'attorney general de Pennsylvanie, Josh Shapiro, qui les a fait fuiter auprès de plusieurs medias, dont Philly.com, donc. Le journal israélien Haaretz en tire la conclusion que Trump pourrait attribuer ces agressions antisémites, sous faux drapeau, à des Juifs, dans le but de lui nuire à lui, Trump. Je ne suis hélas pas certain que cette interprétation de Haaretz soit seulement dictée par la légendaire parano juive. Un conspi à la Maison Blanche, c'est décidément un ressort dramatique inépuisable.
Je n'aurais pas cru davantage citer ici un jour le Kansas Star. Le journal raconte en détail la mort de Srinivas Kuchibothla. Vous ne savez pas qui est Srinivas Kuchibothla ? Normal. L'information a besoin de temps pour arriver dans la lointaine Europe. Srinivas Kuchibothla est donc (ou plutôt était) un ingénieur indien de 32 ans, arrivé aux Etats-Unis voici dix ans pour ses études, et employé depuis chez Garmin, spécialisée dans les GPS. Mercredi dernier (voici une semaine, donc) Kuchibothla prenait un verre dans un bar de Olathe (banlieue de Kansas City) quand un consommateur qui avait abusé des consommations a commencé à lui demander d'où il était originaire, et de quel type était son visa d'entrée aux Etats-Unis.
Ejecté du bar, le consommateur, Adam Purinton, 51 ans, ancien Marine, en est revenu quelques minutes plus tard, avec une arme à feu. Il a tué Srinivas Kuchibothla, blessé l'ami avec qui il prenait un verre, et également blessé un consommateur (purement américain, lui) qui tentait de s'interposer. Puis, il s'est enfui en criant, d'après des témoins, "sortez de mon pays", et a été arrêté par la police dans un bar de l'Etat voisin du Missouri où il a raconté au patron, selon le Kansas Star, avoir tué deux immigrants du Moyen-Orient.
Mais peut-on croire le Kansas Star ? Dans une dépêche que reprend notamment Fox News, l'agence AP prend bien soin de noter que la citation sur les "deux immigrants du Moyen-Orient" n'est pas sourcée (deux jours plus tard néanmoins, la source a été identifiée). En revanche, l'agence AP a rencontré un voisin de Purinton, lequel raconte volontiers que le meurtrier est devenu une épave alcoolique depuis la mort de son père des suites d'un cancer du pancréas, voici 18 mois. Ce même voisin ne l'avait jamais entendu proférer des remarques racistes. Ce sont sans doute ces détails troublants qui ont amené le FBI, six jours durant, à douter que le meurtre de Kuchibothia soit un crime raciste.
Un qui a douté aussi, c'est Donald Trump qui, six jours durant, n'a pas dit un mot du meurtre du Kansas. Pas le moindre tweet. On ne la leur fait pas, à Trump et à sa fine équipe. L'émoi du gouvernement indien, le conjurant de condamner le meurtre (la légendaire parano indienne, certainement) ne l'a pas ébranlé. Sans doute attendaient-ils les conclusions de Fox News, qui creusait la piste du cancer du pancréas. Ou bien des fois que ce soit aussi un "false flag", on n'est jamais trop prudent. Il a fallu six jours pour que, dans son premier discours au Congrès, cette nuit, Trump cite dans une même phrase les agressions antisémites et le meurtre du Kansas, condamnant "la haine et le mal sous toutes ses formes". Le New York Times, journal foutu bien connu, a titré à la Une sur le "ton adouci" de Trump. Ouf, tout va bien.