"Qu'il ferme sa gueule" : le général et l'architecte

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 115 commentaires

"Quant à l'architecte en chef des monuments historiques, je lui ai déjà expliqué plusieurs fois qu'il ferme sa gueule..." Celui qui parle ainsi est l'ancien chef d'état major des armées, le général Jean-Louis Georgelin, 71 ans, nommé par Emmanuel Macron président de l'établissement public qui supervisera la reconstruction de Notre-Dame. Il s'exprime à l'Assemblée, devant la commission des Affaires culturelles. Hors champ, on entend quelques rires de parlementaires. Le Figaro fait néanmoins état d'une certaine "stupeur" au ministère de la Culture, après cette forte apostrophe.

L'architecte en chef ainsi sommé de "fermer sa gueule" s'appelle Philippe Villeneuve. Il est partisan de la reconstruction à l'identique de la flèche de Viollet le Duc, à rebours d'Emmanuel Macron, qui s'est déclaré favorable à "un geste contemporain". Avant de se voir sommé de "fermer sa gueule", Villeneuve avait expliqué que le délai de cinq ans lui paraissait tenable, dans l'hypothèse d'une reconstruction à l'identique. Et que dans le cas contraire, le chantier devrait se dérouler sans lui. Ce conflit entre agenda politique et règles de l'art était au coeur de notre émission sur l'incendie de Notre-Dame.

Si un militaire a été nommé à ce poste, c'est pour tenter d'honorer la promesse présidentielle de boucler la restauration de la cathédrale dans un délai de cinq ans, soit à temps pour les Jeux olympiques de 2024. Un militaire, ça commande, et les troupes suivent, y compris ces esthètes évaporés, ces bavards fumeux, que sont les architectes des monuments historiques. Jean-Louis Georgelin a eu l'occasion d'expliquer (au Figaro, toujours) sa conception du rôle d'un chef, telle qu'héritée de ses fonctions passées. "Un chef qui n'est pas craint n'est pas un bon chef", estime-t-il ainsi, ajoutant il est vrai qu'un chef doit aussi savoir résister... à ses supérieurs : "On essaie de leur plaire, on ne sait pas leur dire non, et on ne participe pas réellement à la décision".

Si on est évidemment sidéré par la brutalité de Georgelin, on ne devrait pas. La sortie de Georgelin, c'est du "Macron petite phrase", du Macron "pognon de dingue, illettrées, gens qui ne sont rien", puissance dix. Ce que l'on pourra rapidement vérifier. Si le soudard Georgelin n'est pas renvoyé à ses packs de bière dans la journée, cela signifiera qu'Emmanuel Macron partage son mépris du rôle des spécialistes du patrimoine dans un chantier tel que la reconstruction de Notre-Dame. Et complétera, dans une certaine cohérence, une définition du macronisme, telle qu'elle se complète au jour le jour, par exemple par la pratique du maintien de l'ordre, depuis maintenant bientôt un an.

Tout au long de son intervention, le général Georgelin a parlé en militaire face aux députés. Notre montage :



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