Electricité : qui connait l'Arenh ?

Daniel Schneidermann - - Silences & censures - Le matinaute - 85 commentaires

Quand elle en aura fini avec le karting en prison et le sexe des barbecues, peut-être un jour la Conversation Nationale, dans sa sagesse, se penchera-t-elle sur le prix de l'électricité, et la manière dont il est formé en France. Sans doute faudra-t-il attendre les premiers froids. En attendant, prenons de l'avance.

Vous avez peut-être vu passer ce schéma, sur la hausse vertigineuse du prix de l'électricité, dans la dernière année, sur le marché de gros. On est passé de 85 à 1 000 euros le mégawatt-heure (MWh), pour de l'électricité fournie au cours de l'hiver 2023. Vous vous dites qu'il y a une erreur d'un zéro ? Non.  C'est bien de 85 à 1 000.  Ce qui ne signifie pas que la facture des particuliers sera multipliée par douze. Pas d'affolement ! Ce sera "seulement" par deux, ou par trois. Youpi !

Par ailleurs, vous avez peut-être entendu cette information : certains fournisseurs "alternatifs" d'électricité (alternatifs à EDF, s'entend) incitent en ce moment leurs clients à...résilier leurs contrats. C'est le cas de l'Espagnol Iberdrola. L'information a été peu relayée. Tant qu'on est dans les mini-canicules, on a la tête ailleurs. C'est sur BFMTV, désolé, que j'ai trouvé les émissions les plus détaillées, ici et ici, par exemple.

Il y a peu de chances, en revanche, que vous ayez entendu parler de l'Arenh (Accès régulé à l'électricité nucléaire historique). De quoi s'agit-il ? En gros, d'un mécanisme obligeant EDF à céder à prix coûtant de l'électricité à ses concurrents, notamment étrangers, pour leur permettre de s'implanter sur le marché français, afin de créer les conditions d'une concurrence qui, comme chacun sait, permettra de faire baisser les prix pour le consommateur. Ce tarif était de 46 euros le MWh, alors que l'électricité, sur le marché, s'échangeait à 600 euros. La plupart des articles de ces jours-ci évoquant la hausse du prix de l'électricité, comme celui-ci, ne mentionnent même pas le nom de l'Arenh. Est-ce parce que le sujet est essentiellement porté dans le débat par Zemmour, et par le PCF ? Je n'ose l'imaginer (citer Zemmour après avoir cité BFMTV, j'aggrave mon cas).

Pourtant, l'Arenh est partout. Derrière les appels à résiliation d'Iberdrola, par exemple. C'est simple : Iberdrola (comme les autres) a droit, chaque année, à un certain quota d'électricité à prix cassé, attribué par la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Ce quota est – notamment – déterminé par la consommation de ses clients au cours des mois de juillet et d'août. Si Iberdrola, après avoir servi ses clients, conserve un surplus d'électricité à bas prix, elle en fait ce qu'elle veut. Elle peut par exemple la revendre, beaucoup plus cher, à... EDF, qui la lui a vendue à prix cassé. Voilà pourquoi c'est à la fin d'août qu'Iberdrola tente de se délester de ses clients. C'est absurde ? C'est un assassinat programmé d'EDF ? Oui. C'est pourtant ainsi, depuis une loi sur la Nouvelle organisation des marchés de l'électricité (NOME) de 2012. C'est ce qui a déterminé le président sortant d'EDF, Jean-Bernard Lévy, à réclamer 8 milliards de compensation à l'Etat. 

Je lis dans le Parisien d'hier qu'Elisabeth Borne est furieuse contre EDF, coupable de ne pas avoir assez bien planifié les opérations de maintenance des centrales nucléaires, moyennant quoi 32 des 56 réacteurs du parc français sont actuellement à l'arrêt. "Si la facture d'électricité des Français augmente, ce n'est pas seulement du fait de la situation internationale, mais aussi à cause d'EDF", cite le Parisien en rappelant sa qualité de "polytechnicienne" : sous-entendu, elle sait de quoi elle parle, à la différence des clampins d'ingénieurs d'EDF. L'article du Parisien ne dit pas un mot de l'Arenh. C'est sans doute trop compliqué pour les lecteurs non polytechniciens. En tous cas, personnellement, quoique non polytechnicien, je vais vous en reparler.

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