Président du pain, président des jeux
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 61 commentaires
Enfin, Manu Ier va donner aux pauvres. Ô temps, suspends ton vol, et contemple le geste disruptif de la distribution du "pognon de dingue", mais à bon escient. Ô sublime allégorie du président des riches, offrant aux pauvres le petit déjeuner gratuit dans le primaire et/ou au collège, "dans certains territoires", l'automaticité du versement des aides sociales, et autres somptuosités.
Hélas hélas hélas, les allégoristes avaient oublié le foot. On apprenait donc hier que l'annonce par Emmanuel Macron du "plan pauvreté", initialement prévue le 9 juillet, serait sans doute retardée, le Dispensateur Avisé de pognon de dingue ayant "promis" de se rendre en Russie, si l'équipe de France était qualifiée en demi-finale de la coupe du monde de foot-ball. La vraie raison est-elle ce voyage (après tout, on pourrait trouver une autre date), ou bien plutôt, comme le glissait France Inter, le souhait du pouvoir que les Français soient "réceptifs" ? Dans les deux cas, c'est un aveu. Le président des riches entend rentabiliser son investissement caritatif. Pas question de donner aux pauvres, sans en montrer l'image, afin d'en récolter les dividendes de popularité. Président du pain, président des jeux : deux belles images le même jour, ce serait de la confiture aux cochons.
A moins que ce report n'ait d'autres raisons, ce que suggère cet article des Echos
. Peut-être les départements, dont on a rogné les ressources, ont-ils des difficultés à dégager des recettes. Peut-être alors le foot n'est-il qu'une excuse commode. Mais peut-être Manu Ier a-t-il pensé que le report passerait mieux avec l'alibi du foot, étant entendu que "Léfrançais", pendant la coupe du monde, le Tour de France, ou toute autre manifestation sportive mythologisable et fédératrice, sont supposés avoir "la tête ailleurs" qu'aux soucis, et au pain quotidien. Et le pire, c'est qu'à en juger par l'apathie caniculaire, ce présupposé n'est peut-être pas faux.