Pour Hanouna, malgré tout

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 85 commentaires

Ils sont mignons, à ne pas s'apercevoir qu'ils parlent d'eux, qu'ils tremblent pour eux-mêmes, et à s'imaginer que ça ne se voit pas. Ce matin, sur France Inter, Léa Salamé reçoit Bilal Hassani, jeune chanteur queer qui représentera la France à l'Eurovision, et s'attire sur les réseaux sociaux les commentaires homophobes qu'on imagine. Salamé : "Mais comment on arrive à se protéger, quand on a 19 ans comme vous ? Ma génération ou d'autres plus âgées encore, on a vécu une période où il y avait pas encore les réseaux sociaux, et puis soudainement on prend ça. Comment on vit, à 19 ans, quand on se prend ce déluge de haine dégueulasse ?" A cet instant, ce n'est pas de Bilal Hassani qu'elle parle. C'est d'elle. C'est elle, qui se vit comme la cible de "ce déluge de haine dégueulasse". Sans doute, comme le répètent les sachants, les Gilets jaunes vivent-ils dans leur bulle Facebook. Mais Léa Salamé et les siens sont dans une autre forme de bulle.

De la même manière, Cyril Hanouna, dans son émission de vendredi soir, sur C8, avec Marlène Schiappa, argumentant contre la taxation des super riches (notre compte-rendu de l'émission est ici) : "les mecs, je vais te dire ce qu'ils vont se dire. Ils vont se dire moi ici, on va me prendre à la fin 70 ou 80% de ce que je gagne. Je vais aller dans un autre pays, et je vais tout garder pour moi..." : qui ne voit que l'animateur-producteur couvert d'or par Bolloré parle de lui ?

Pour autant, au risque de surprendre, il n'est pas certain que cette coproduction baroque Hanouna / Schiappa, conçue pour encadrer le mouvement, le canaliser, le ramener à la raison, et multi-critiquée par anticipation pour cette raison, n'ait pas au final servi le mouvement. Une enquête de Mediapart, publiée ce week-end, montre bien comment le "grand débat" officiel, en écharpes tricolores, a été sciemment truqué par le pouvoir, pour ne plus être qu'une opération de communication. Mais à la différence de ces "débats" marathon retransmis sur BFM, qui ont surtout servi à Macron ou Philippe à jouer les maitres d'école, l'émission Hanouna / Schiappa a donné le dernier mot au vote de ces cancres de téléspectateurs. Et dans les sept propositions ainsi retenues, il en est au moins deux -le retour de l'ISF, la prison pour les fraudeurs fiscaux- qui ne feront pas plaisir au gouvernement. 

Ce vote était-il un simulacre ? Bien sûr. Mais le simulacre, comme Frankenstein, a pris vie, et échappé à ses créateurs. Aussi cadrée qu'elle ait tenté d'être, l'émission a tout de même permis de développer, devant le public de Hanouna qui ne les avait peut-être jamais entendues, des propositions radicales. On a pu entendre l'avocat Gilet jaune François Boulo  plaider pour une peine plancher de trois ans de prison pour les fraudeurs -et même, si on a bien compris, les optimisateurs fiscaux-, sous le regard coi de Marlène Schiappa. Le pouvoir s'imagine faire des concessions en carton-pâte. Il concède le moins possible. Mais il ne peut tout maîtriser. Il doit tenter. Il doit risquer. Dans ses gesticulations et son affolement, il entrouvre des portes, des fenêtres. Et l'incendie jaune s'y précipite.


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