Polanski : le basculement du "J'accuse"

Daniel Schneidermann - - Fictions - Le matinaute - 116 commentaires

Cela commence ainsi, le week-end dernier, comme un bruit, une rumeur encore invérifiée : Jean Dujardin a renoncé à son invitation au 20 Heures de TF1, pour faire la promo du "J'accuse" de Roman Polanski. A ce stade, personne ne prend la parole publiquement, ni Dujardin, ni TF1, ni la production du film. C'est une rumeur. Et c'est justement le contraste entre l'énormité du déraillement de la promo (Dujardin !! TF1 !!), et son état gazeux de rumeur encore en suspension, qui alerte et sidère. Si se produit un événement aussi considérable dans un embarras tel que personne n'ose parler, alors oui, la banquise est en train de craquer, et de craquer grave.  Comme en URSS il fallait lire entre les lignes de la Pravda, il faut reconstituer, entre les lignes de l'événement, les craquements, la panique de fourmillière de la Nomenklatura du "cinéma français".

Dans les heures précédentes, une nouvelle victime de viol de Polanski, Valentine Monnier, est sortie du silence dans Le Parisien. Elle affirme avoir été violée en 1975, alors qu'elle avait 18 ans. A la différence de ce qui s'était passé pour les accusations contre Luc Besson, Le Mondereprend aussitôt l'enquête du Parisien"Je la crois"écrit tout aussitôt Adèle Haenel au Parisien et à Mediapart. Trois mots tout simples. Trois mots qui déclenchent tout.  Trois mots après lesquels Dujardin, qui a lui-même tourné un film avec Haenel, ne peut plus aller à TF1 (d'autant moins que dans les jours précédents, il a peiné à répondre à l'embarrassante question, posée malgré les pressions des attachés de presse du film, comme le révèle ce matin Mediapart). Emmanuelle Seigner, épouse de Polanski, annule son passage à l'émission d'Augustin Trapenard sur France Inter. Deux émissions de promo (de France Inter et de France 5), enregistrées avant l'enquête sur Valentine Monnier, passent à la trappe. 

Ce qui était possible avant l'enquête sur Valentine Monnier et sa ratification par Adèle Haenel (interviewer Dujardin sans un mot sur les multiples accusations de viol contre Polanski, voir l'interview pravdaesque d'Ali Baddou sur France Inter) ne l'est soudain plus. Le film est rattrapé par son contexte. Et les critiques traditionnellement publiées le mercredi de la sortie ne peuvent plus faire l'impasse sur  cette extraordinaire ironie qui projette aujourd'hui Mediapart et Le Parisien dans la peau de L'Aurore du J'accuse. Oui, quelque chose a basculé. Et la bulle enchantée du "cinéma français" s'est vouée, pour au moins les quarante ans qui viennent, à une nouvelle conscience politique, qui s'appelle Adèle Haenel.




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