Platinosceptiques et platinobéats

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 30 commentaires

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Sur le plateau tardif de BFMTV, sont réunis trois docteurs en platinisme.

Disons plutôt : deux platinistes, et un anti-platiniste. Précisons encore : deux platinobéats, et un platinosceptique. Michel Platini vient d'accorder une interview au Monde. Non pas au service des sports du journal mais, insiste-t-on, à Raphaëlle Bacqué, confesseuse des puissants économiques et politiques, ce qui doit bien avoir une signification, mais laquelle ? "L'arrogance", tranche le platinosceptique, tandis que les autres en tiendraient plutôt pour "la naïveté".

Car voici la leçon principale de l'affaire. Le corrompu étranger de la FIFA, par exemple africain, ou sud-américain, est ontologiquement, génétiquement corrompu. Il a têté la corruption avec le lait de sa mère. A l'école, il détournait des billes. Sur le terrain, il mordait régulièrement les arbitres. Des billets dépassent de ses poches. Il est complice du système Blatter, quand il ne l'incarne pas.

Rien à voir avec Platini. Ah, Platini !"Il m'a fait rêver quand j'étais petit", confesse le platinosceptique, qui sait bien que sinon, il n'aurait même pas eu le droit de fouler le trottoir du bâtiment de BFM. Ce n'est pas seulement que Platini pratique le beau jeu. Platini est le beau jeu. Aux débats sur le platinisme, ne peuvent participer que des croyants ou ex-croyants (un peu comme au débat sur l'euro, jusqu'à ces toutes dernières années), tous réunis par un amour profond du platinisme, le champ du débat se limitant à savoir si Platini a trahi le platinisme. Si Platini, donc, a touché de Blatter quelque deux millions d'euros, ce ne peut être que par "naïveté", "négligence", voire "spontanéité", cette spontanéité enchanteresse, cette légèreté crêmeuse, qui fit évidemment l'essence de son beau jeu, et ne saurait le condamner, répète le platiniste ultra, qui d'ailleurs l'a approché, a même travaillé avec lui, et peut attester que Platini est par ailleurs "un bosseur".

C'est le présentateur qui doit relire le passage le plus croustillant de l'interview, le désormais culte récit de la négociation Platini-Blatter. "Il me demande d’être son conseiller pour le foot. C’est d’accord. «Combien tu veux?», demande Blatter. Je réponds: «Un million.» «De quoi?» «De ce que tu veux, des roubles, des livres, des dollars.» A cette époque, il n’y a pas encore l’euro. Il répond: «D’accord, 1 million de francs suisses par an.» Naïveté ou légèreté ? se demande gravement le plateau. Il ne s'en trouve pas un seul pour admettre qu'à lui seul, et quelles que soient les autres circonstances, ce récit, par le gestionnaire d'une structure, l'UEFA, qui brasse quelque 2,3 milliards d'euros de budget annuel, disqualifie son narrateur pour occuper toute fonction administrative quelle qu'elle soit, y compris intendant d'une école maternelle. Pas un seul. Croient-ils à leurs fables ? C'est secondaire. Mais ce n'est pas en pleine messe, que le curé va reconnaître que Dieu n'existe pas.

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