Pertinence du coup de gueule

Daniel Schneidermann - - Médias traditionnels - Le matinaute - 102 commentaires

Comme il est étrange, ce mot de "bicot", capté dans la dernière - en date - vidéo de dérapage policier. Comme il paraît venu de loin. "Un bicot comme ça, ça nage pas", entend-on dans la bouche de policiers qui viennent apparemment de repêcher un fuyard dans la Seine, sur l'Île-Saint-Denis (93). "Haha ça coule, tu aurais dû lui accrocher un boulet au pied".

 "Bicot" : le mot évoque les ratonnades de l'OAS, des années 60, de la guerre d'Algérie. C'est d'ailleurs sur le pont de l'Île-Saint-Denis qu'a été installée une plaque aux victimes, noyées dans la Seine, de la répression policière du 17 octobre 1961. Les racistes d'aujourd'hui ne parlent plus ainsi. Le racisme a muté. Ils procèdent par sous-entendus contre l'islam. Ils se camouflent sous l'étendard de la "laïcité". Comme si une souche indépendante de racisme policier avait survécu souterrainement un demi-siècle jusqu'à aujourd'hui, et resurgissait d'une sorte de dégel du permafrost. Soyons rassurés : le gouvernement a aussitôt saisi l'IGPN, bien connue pour sa sévérité.

Par principe, il faut être vigilant vis-à-vis du gouvernement. Mais il y a des vigilances stupides. Ainsi, à la fin de la semaine dernière, le lanceur d'alerte bien connu de TF1, Jean-Pierre Pernaut, poussait un "petit coup de gueule" sur les incohérences du confinement et du déconfinement. "Un jour l'école est obligatoire, le lendemain elle l'est plus..." : Pernaut en était accablé. Qui ne partagerait l'ébahissement de Pernaut ?

 Sans être prophète, je crois pouvoir prédire que le déconfinement scolaire se fera dans de mauvaises conditions, que ce soit en mai, en septembre, ou plus tard. Masques ou pas ? Volontariat ou pas ? Le gouvernement n'a le choix qu'entre de désastreuses solutions. Et davantage encore depuis que le Conseil scientifique a fait savoir -avec un inexplicable retard de plusieurs jours- qu'il était favorable à une rentrée en septembre, et encore, sous des conditions draconiennes, que ne peut sans doute remplir aucun établissement scolaire français.

Mai ou septembre ? Peu importe la décision, elle fera des mécontents. Des millions de petit Pernaut estimeront qu'ils auraient fait mieux. Tant qu'à exercer sa vigilance sur les enjeux véritables, autant être attentif à des signes plus invisibles : par exemple la réouverture annoncée par Air France, dès le 12 mai, de la ligne Paris-Bordeaux (et aussi, de Paris-Brest, et Paris-Montpellier). 

En échange de l'octroi d'une aide de sept milliards, le ministre Bruno Le Maire avait annoncé qu'Air France allait devenir "la compagnie la plus respectueuse de l'environnement de la planète". En train, Paris-Bordeaux se parcourt en deux heures, avec un bilan carbone quasi-nul. Le maintien des lignes aériennes intérieures est justifié par les compagnies au nom des voyageurs en "hub", c'est à dire en correspondance, entre l'étranger et la province. Mais croit-on vraiment que les lignes Paris-Shangaï ou Paris-Bangkok vont rouvrir à une fréquence qui justifie la réouverture de Paris-Bordeaux ? Vivement le coup de gueule de Pernaut.


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