Péan, Marianne et quelques autres, contre Kouchner

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 64 commentaires

...et beaucoup d'autres

Résumons la bagarre qui s'annonce. Un livre de Pierre Péan


(dont l'hebdomadaire Marianne publie les bonnes feuilles) accuse le ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner d'avoir touché dans les années 2005 de gras honoraires de consultant de la part du président gabonais Omar Bongo. Il l'accuse d'avoir relancé (ou fait relancer) Bongo avec insistance sur le paiement du reliquat de ces honoraires après être entré au Quai d'Orsay, lors d'une visite officielle de Bongo à Paris, mélangeant ainsi fâcheusement les genres. Parmi les "agents de recouvrement" du ministre, un certain Eric Danon, ancien collaborateur de Kouchner, et que ce dernier a nommé ambassadeur de France à Monaco. C'est tout ? Non. Selon Péan, si l'on comprend bien, (mais le texte des bonnes feuilles est évasif sur ce point) c'est la menace implicite par Bongo de la révélation de l'existence de ces contrats, qui aurait convaincu le pouvoir français de débarquer le secrétaire d'Etat à la coopération Jean-Marie Bockel, pour avoir violemment (et imprudemment) attaqué la "Françafrique". En d'autres termes, le ministre français des Affaires étrangères serait "tenu" par un, ou des, chefs d'Etat étrangers, et le président français serait au courant.

Péan n'est pas n'importe qui. C'est lui qui a révélé dans un livre que Mitterrand vieillissant n'avait pas renié son amitié avec le collabo Bousquet. Il est (avec Philippe Cohen, aujourd'hui rédacteur en chef de Marianne 2), l'auteur de "La face cachée du Monde", livre qui a déstabilisé l'ancienne direction du journal, et a indirectement conduit à sa chute. Il a aussi commis quelques ouvrages moins bien inspirés, dont un second étrange livre sur Mitterrand, balançant entre la réhabilitation et le remords, et un recueil d'entretiens angéliques avec Chirac. Il a été attaqué par SOS Racisme (et relaxé par la Justice, après que deux anciens ministres soient venus témoigner pour lui) pour un livre sur le Rwanda. C'est un drôle d'oiseau journalistique, une patte dans l'investigation pure et dure, et l'autre dans la confession de présidents septuagénaires. Il a, dans la presse, des amis solides, et de non moins solides inimités. L'affaire s'annonce donc tonitruante.

Et pourtant, à l'heure où écrit le matinaute, le silence des médias audiovisuels est assourdissant. La question tremblante d'Elkabbach à Kouchner (dans cette vidéo postée par Marianne 2, et hélas non "embeddable") donne une idée de l'embarras du Milieu. Quant à la presse écrite ! Un compte-rendu dans Libération, unsuivirégulier dans Marianne 2, l'hypothèse du remplacement de Kouchner par Védrine dans La Tribune de Genève, et c'est presque tout. Admettons que les confrères attendent d'avoir le livre en main (il sera publié mercredi, et l'on sait que des "bonnes feuilles" bien choisies peuvent donner une idée fausse d'un livre) et attendons aussi. L'accueil du pavé donnera des indications intéressantes sur le degré d'indépendance des uns et des autres, et sur la cartographie du "journalisme d'investigation" en France.

Mise à jour, 11 heures 30: comme me le signale un matinaute du forum, c'est l'humoriste Stéphane Guillon qui a traité le livre, ce matin sur France Inter. Ce qui permet, à la fois d'en parler, et de cantonner l'information dans les limites balisées de la franche rigolade...

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