Pas d'apocalypse à Lytton
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 82 commentaires
Et c'est la bourgade de Lytton qui remporte le record. Vous ne connaissez pas Lytton ? Vous allez connaître. Ce village de 249 âmes, en Colombie-Britannique (1700 en comptant la communauté autochtone Nlaka'pamux) vient de remporter, du fait d'un "dôme de chaleur", le record de la température la plus élevée jamais relevée au Canada, hier dimanche, avec 46,6 degrés. Lytton est souvent l'endroit le plus chaud du Canada, et en tire même une certaine fierté.
Jeudi dernier, sur LCI, David Pujadas consacrait son émission à se demander si l'on n'en fait pas un peu trop, avec ces prévisions "apocalyptiques"
du GIEC (à la suite de la divulgation d'un pré-rapport du GIEC prévoyant des "conséquences irréversibles"
si le réchauffement n'était pas limité à 1,5 degré par rapport à l'ère pré-industrielle). C'est cette dramatisation qui déplaît à David Pujadas.
"Personne n'imagine que ce sera une partie de plaisir, le réchauffement, mais est-ce qu'on n'en fait pas un peu trop sur le réchauffement en imaginant que ce sera forcément ces scènes d'apocalypse ?"
Et de pousser ses invités, notamment Dominique Leglu, directrice du pôle sciences du groupe Challenges (Sciences et Avenir, La Recherche
). "On a l'impression que ça monte d'un cran à chaque fois ." "Pardon de vous interrompre, mais on est dans un monde qui a des moyens d'ingénierie comme jamais auparavant". "On sera tous d'accord, il faut agir. Mais pour inciter à agir, est-ce qu'il faut forcément dire que 1,5 degré ce sera comme si c'était la fin de la planète Terre." "Tout le monde est d'accord, on n'agit pas assez, mais la question qu'on se pose, c'est est-ce que parfois on n'exagère pas un peu ?" Est-ce que parfois on n'exagère pas un peu quand on nous raconte que c'est la fin du monde ?" "Est-ce que vous êtes d'accord qu'
a priori on a pas mal d'armes pour faire face ?" "Par exemple la Sibérie. Pour l'instant la Sibérie c'est du permafrost. Ça va devenir des terres cultivables." "Tout le monde est d'accord là-dessus. C'est simplement la manière d'agiter la peur, je dis simplement ça"
. "Est-ce qu'à force de berger qui crie au loup, cette stratégie ne décourage pas ," "Al Gore, il exagérait"
.
Pujadas, qu'on ne s'y trompe pas, n'est nullement climatosceptique. Chaîne conventionnée par le CSA, filiale de l'honorable maison TF1, LCI ne confierait pas une tranche quotidienne à un climatosceptique. Il est d'accord avec le consensus scientifique que ce ne sera pas "une partie de plaisir"
, et que l'homme porte une responsabilité dans le changement climatique. Il adorerait "simplement"
qu'on agisse sans "agiter la peur"
, sans dire "tout le monde va mourir"
, sans prévoir "la fin de la planète T
erre"
, sans "monter d'un cran"
à chaque fois (toutes expressions, relevons-le, qui ne figurent nullement dans le fameux pré-rapport du GIEC, pas davantage que "l'apocalypse"
). Rationnellement. Avec notre culte de la croissance. Avec nos magnifiques cerveaux tellement bien configurés pour gérer le long terme. Avec notre remarquable souci des générations suivantes, et des quelques centaines de millions de vies condamnées à court terme ce qui, à l'échelle de sept milliards de Terriens, ne représente pourtant pas grand chose. Ne dites pas à David Pujadas qu'il pourfend des prévisions dramatisantes du GIEC qui n'existent pas, avec pour effet terminal de démobiliser l'opinion sur l'urgence climatique, il pense qu'il fait de l'information.
PS : De fait, aucune scène d'apocalypse n'a été relevée à Lytton. Des campagnes de vaccination Covid ont simplement été annulées, ainsi que, dans la région, les dernières pré-selections pour les Jeux olympiques. Peut-être même, du fait de ce record, Lytton va-t-elle enregistrer une pointe de tourisme climatique. Dommage que ce soit si loin. David Pujadas enverrait volontiers des reporters à Lytton.