Paris, Madonna, Kano
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 55 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Madonna chante Lennon, place de la République.
C'est un concert-surprise en pleine nuit, devant quelques dizaines de passants, que la star a tenu à offrir, après son concert officiel de Bercy. Comment ne pas être saisi d'émotion par la séquence, colportée par les réseaux sociaux ? Comment ne pas être pris en étau par la profusion des symboles que déploie la scène (Paris, la nuit, la star, l'offrande, Imagine, la place de la République, un drapeau français dans le fond, irrésisitible télescopage). Riche, belle image, qui vient mondialiser l'iconographie du 13 Novembre. Peut-être cette scène, filmée au tremblé, avec les portables des passants, compte-t-elle parmi celles qui resteront, comme celle de Rostropovitch au pied du mur de Berlin, en 1989.
Youtube - Madonna - Imagine (Place de La République, Paris), 9 décembre 2015
Madonna est passée par Paris, merci à elle. Elle y est même passé plusieurs fois. Après Charlie, elle avait pris Luz dans ses bras, comme il nous l'avait raconté. Madonna n'ira sans doute pas "où la terreur n'a pas de nom". Où la terreur n'a pas de nom, c'est à Kano, au Nord du Nigeria, où l'excellent blog "Making of" de l'AFP (à qui il faudrait attribuer collectivement tous les prix de journalisme) nous emmène. Ce pays où un attentat suicide succède à l'autre, sans hommages internationaux, sans discours commémoratifs des dirigeants, sans plus même de réactions de la population qui, raconte le correspondant de l'agence Aminu Abubakar, aussitôt après une explosion, attend la suivante. Sans même d'images : alors que les chaînes nigerianes et la BBC ont retransmis en direct la cérémonie d'hommage aux victimes de Paris, les chaînes françaises n'ont jamais retransmis de cérémonie d'hommage à celles de Boko Haram (17 000 depuis six ans au Nigeria). Il n'y a pas de cérémonies d'hommages, objecterez-vous. Certes. Mais s'il y en avait, croit-on que BFMTV les diffuserait ?
Pour illustrer l'article, le blog de l'AFP publie plusieurs photos de cadavres, et de charniers (je ne les reproduis pas, allez-les voir si vous le souhaitez). La question de savoir s'il faut publier des photos de cadavres des attentats terroristes, ou des guerres, se pose sans cesse dans la presse. La presse française -pas davantage que l'AFP, sans doute- n'a pas publié les photos des corps dans la fosse du Bataclan, photos propagées par les internautes d'extrême-droite sur les réseaux sociaux, sur le thème "ah, vous avez voulu nous obliger à voir la photo du petit Aylan, regardez donc celles-ci". Pourquoi refuser de publier la photo des morts de Paris, et publier celles-ci ? Pourquoi accréditer l'idée que les corps des Nigerians seraient plus "montrables" que les corps des Français ? N'est-ce pas reproduire l'inégalité de traitement médiatique des victimes, justement dénoncée dans le beau texte qu'illustrent ces photos ? Ce n'est pas spécialement obscène. Ce n'était simplement pas nécessaire.