Nouilles dans le slip et plume dans le cul

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 49 commentaires

Et déboula Hanouna. Il parait donc que baba se propose d'être "porte-parole" des Gilets jaunes, titra la presse. A regarder de plus près l'émission, comme nous l'avons fait, Baba s'est plutôt employé à canaliser la parole de ses quatre invités en gilet jaunes -"je vous aime, beaucoup Maxime, mais la destitution du président, c'est un truc qui va décrédibiliser le mouvement !"Il faut pourtant regarder  aussi la vidéo, tournée la veille, où l'on voit comment l'animateur-producteur s'est laissé convaincre d'inviter sur son plateau quelques délégués du mouvement. Il faut voir les regards pleins d'espoir tournés vers lui. Il faut le voir, lui, trouver les mots pour les apprivoiser.  Hanouna ? Le Hanouna des nouilles dans le slip ? Lui-même.

Quand surgit de nulle part un tel mouvement, l'esprit divague immanquablement en recherche d'étiquettes (de gauche ? de droite ? d'ailleurs) et de précédents historiques comparables. Jacqueries ? Sans culottes ? Poujadisme ? Mathilde Larrère explorera demain sur notre plateau ces précédents, et leurs limites. Mais personnellement, c'est un autre souvenir qui me revient.

A la fin 1980, déboula dans la course présidentielle  de l'année suivante un clown aux blagues politico-scato nommé Coluche. Dans la Giscardie finissante, il venait d'être censuré de Europe 1 et RMC, pour allusions répétées à l'affaire des diamants. Il tint une conférence de presse avec une plume dans le cul. Sa proclamation présidentielle tenait en une éloquente énumération. "J'appelle les fainéants, les crasseux, les drogués, les alcooliques, les pédés, les femmes, les parasites, les jeunes, les vieux, les artistes, les taulards, les gouines, les apprentis, les Noirs, les piétons, les Arabes, les Français, les chevelus, les fous, les travestis, les anciens communistes, les abstentionnistes convaincus, tous ceux qui ne comptent pas pour les hommes politiques à voter pour moi, à s'inscrire dans leurs mairies et à colporter la nouvelle."

Etait-ce une blague de plus ? Les éditocrates de l'époque se bouchèrent le nez.  Etait-il de gauche, de droite, du centre ou de nulle part ? Les politologues politologuèrent.  Mais des intellectuels,ravis de la transgression, se rallièrent. Les sondeurs sondèrent. Et la mayonnaise prit. En quelques semaines, il grimpa jusqu'à 16% des intentions de vote. J'étais à l'école de journalistes, et il comptait dans la promo quelques soutiens convaincus.  Le pouvoir  giscardien usa alors de méthodes de basse police pour convaincre  le bouffon que les plaisanteries les plus courtes sont les moins longues. Coluche reçut des menaces de mort d'un groupe Honneur de la police, pour son rôle dans Inspecteur la bavure. Il se retira. Mitterrand fut élu. Quelque temps plus tard, Coluche fonda les Restos du coeur, fut renversé par un camion, et devint Saint-Coluche. Tout a changé, bien sûr.  Hanouna est beaucoup moins drôle que Coluche.  La rigolade est beaucoup moins au programme. Mais reste le souvenir d'un OVNI politique qui fracassa les codes et les cloisons, et tourna bien des têtes.


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