Prothèses vaginales, le choix des mots

Daniel Schneidermann - - Investigations - Le matinaute - 77 commentaires

Agnès Buzyn reçoit Elise Lucet. La ministre de la Santé est prévenue, nous dit Cash Investigation, qu'il va être question de prothèses vaginales. L'émission entière est consacrée au scandale des implants, toutes ces prothèses que l'on implante dans le corps (prothèses mammaires ou vaginales, hanches artificielles, stents, etc),  et dont un consortium de medias internationaux (en France, notamment, Le Monde et Cash Investigation) détaille depuis trois jours l'affolante mise sur le marché sans aucun contrôle sanitaire, avec dramatiques effets secondaires. A propos des prothèses vaginales précisément, ce filet censé contenir les tissus, mais qui parfois se rétracte sur lui-même,  de nombreuses femmes éprouvent maintenant des douleurs récurrentes, voire un handicap permanent. Elles ont été interdites en Grande-Bretagne et en Australie.

Et en France ? Agnès Buzyn ne sait pas s'il faudra aussi interdire. Manifestement, elle n'a pas été briefée. Lucet : "vous découvrez le sujet ?" Buzyn, bafouillant : "oui je découvre le sujet" (replay à 56'10''). Elle est cuite. Bafouiller face à Elise Lucet, ça ne pardonne pas. Même si on apprend dans Le Parisien que l'entretien s'est déroulé le 21 novembre, donc quelques jours avant les premières publications de l'enquête -décalage qui permet de mieux comprendre cette ignorance qui, aujourd'hui, à l'écran, semble si scandaleuse.

Mais plutôt que l'ignorance de la ministre, c'est le vocabulaire des deux, journaliste et ministre, qui aide à entrevoir les réticences ministérielles à mettre un terme au scandale. Dans ses questions, Lucet insiste sur le "vaginal", en posant fortement l'accent tonique sur le "va". Elle convoque ces images mentales peu attrayantes, que sont la descente d'organes, ou les fuites urinaires. En écho, Buzyn préfère parler de "dispositifs médicaux". Même pas de prothèses, ni d'implants. Non. Des "dispositifs".  En filigrane, se laissent entrevoir des  réunions d'experts éthérées, un vague dégoût distingué, des rires discrets peut-être sur ces problèmes de vieilles bonnes femmes. C'est propre, un dispositif. Surtout "médical".  C'est neutre. Ça ne déchire pas le vagin, ça n'empêche pas de marcher, ça ne fait de mal à personne. Ça permet de parler des choses sans en parler, dans l'illusion confortable qu'un problème non nommé n'existe pas vraiment.


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