Migrants : le bras de fer des monstres froids

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 385 commentaires

C'est une photo. Elle ne dit rien de plus que ce que peut dire une photo, mais elle s'étale à la Une du Sun d'aujourd'hui, au lendemain du naufrage d'un "small boat" dans la Manche, qui a fait environ trente morts (les chiffres de ce matin oscillent entre 27 et 30). Alors qu'un autre "small boat" de migrants prend la mer à Wimereux (Pas-de-Calais), une voiture à gyrophare observe sans intervenir. La vidéo entière, mise en ligne par le Sun, confirme cette impression. Cette photo et cette vidéo sont signées Reuters. Je ne sais pas dans quelles conditions elles ont été prises. Ce que je sais (grâce à la revue de presse étrangère de Camille Magnard, sur France Culture), c'est que le Sun la publie à la Une, sous la manchette "Shameful" (honteux).

C'est donc cette photo qui, pour une partie de l'opinion britannique, va illustrer la situation : la France laisse complaisamment embarquer les migrants du Pas-de-Calais vers les côtes britanniques, au péril de leur vie. Ce que je sais aussi, c'est qu'aucun média français, à l'heure où j'écris, n'a publié cette photo.

Le plus obscène, dans les réactions françaises et britanniques depuis hier, c'est la surprise feinte. Depuis plus d'un an, depuis que les mesures de "sécurisation" ont rendu quasiment impossibles les passages par le tunnel, les traversées en "small boats", comme on dit, se sont multipliées. Chacun savait que le naufrage, hier, d'un de ces "small boats", se produirait un jour. La seule inconnue était la date.  bord, ils n’ont même pas de compas pour se diriger, explique au Monde Alain Ledaguenel, président de la Société nationale de sauvetage en mer de Dunkerque. Ils n'ont aucun feu de navigation, sont indétectables au radar et quand ils sont éloignés des côtes, la portée d’un téléphone n’atteint pas le rivage. Si celui qui est à la barre n’a pas de point de repère, il ne va pas savoir compenser la dérive due au courant de marée et va se trouver déporté et, rapidement, en panne sèche."

Je lis et je relis les enquêtes sur l'épreuve de force franco-britannique, à propos des traversées de migrants, mais je dois avouer que je ne comprends pas les ressorts profonds de ce bras de fer de monstres froids. C'est une bouderie française post-Brexit, c'est ça ? Il s'agit pour la France de punir Johnson ? C'est un "simple" sordide chantage pour quelques millions supplémentaires, accordés à la France par la Grande-Bretagne ? C'est le terrible face-à-face de deux gouvernements pris à la gorge, l'un par les hurlements des médias Bolloré, l'autre par les manchettes des médias Murdoch ? Ce que je sais, c'est qu'environ trente êtres humains, dont des femmes et des enfants, se sont noyés dans la Manche, qui n'avaient jamais entendu parler de Bolloré, ni de Murdoch.

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