Michael Moore, et le fantôme de Guy Mollet
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 54 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Terrible pouvoir, que celui d'oser nommer les choses, et marquer les moments.
C'est
Michael Moore, le gros à casquette, qui s'y colle, dans sa lettre
ouverte à Obama, écrite et adressée avant la décision d'envoyer en
Afghanistan 30 000 soldats supplémentaires. "Voulez-vous
vraiment être le nouveau «président guerrier»? Si vous vous rendez à
l'académie militaire ce samedi soir et annoncez que vous allez
augmenter, au lieu de diminuer, les troupes en Afghanistan, vous serez
le nouveau président guerrier. Purement et simplement. En faisant ça,
vous ferez la pire chose possible: détruire les espoirs et les rêves
que des millions de personnes ont placés en vous. En un seul discours
mardi soir, vous pouvez faire de cette multitude de jeunes gens, qui
étaient la colonne vertébrale de votre campagne, des cyniques
désillusionnés. Vous leur apprendrez que ce qu'ils ont toujours entendu
est bel et bien vrai: tous les hommes politiques sont pareils. Je ne
peux juste pas croire que vous êtes sur le point de faire ce que les
gens disent que vous allez dire. S'il vous plaît, dites que ce n'est
pas comme ça" (le texte intégral, traduit en français, est ici). |
Pourquoi sont-ils si rares, à oser ainsi nommer les choses ? Dans la décision d'Obama, tout nous crie les désastres futurs. Le cœur, la raison, les souvenirs, les comparaisons, dessinent le même cataclysme. Mais tout se passe comme si cette évidence était trop déchirante, pour que nous la regardions en face. Nous cherchons donc des excuses à Obama. Nous nous disons : c'est trop gros pour que ce soit vraiment ce que ça semble être. Nous nous raccrochons à des brindilles : la date de début de retrait des troupes, les conditions ("très fermes") posées au président afghan, etc.
Nous chassons aussi les souvenirs qui nous assaillent. Ici en France, par exemple, nous chassons le souvenir de ce dirigeant socialiste nommé Guy Mollet, arrivé au pouvoir en 1956 sur un programme de "paix en Algérie", et qui, accueilli à coups de tomates par les ultras d'Alger, restera comme celui qui envoya le contingent en Algérie, installant durablement la France dans une guerre meurtrière. Nous chassons ces fantômes, qu'il y a sans doute mille raisons de chasser. Mais ils sont insistants.