Menès : le dernier mot

Daniel Schneidermann - - Scandales à retardement - Le matinaute - 70 commentaires

La voici donc, "la" fameuse séquence de Pierre Ménès face à Marie Portolano. C'est une des séquences du documentaire Je ne suis pas une salope censurées par Canal+. Cyril Hanouna (C8, groupe Canal+) avait promis de les diffuser en intégralité. Il n'en diffuse que trois minutes (sur dix-sept minutes censurées au total). Les autres suivront peut-être.

Que la diffusion, sur une chaîne du groupe, de cette séquence censurée par la chaîne-amiral permette de joindre l'utile à l'agréable, c'est à dire une bonne audience à une défense-maison : ainsi fonctionne le système Canal+ (c'est le directeur de Canal+, Gérald-Brice Viret, qui a conseillé à Ménès d'aller désamorcer l'affaire chez Hanouna). 

En résulte donc un méli-mélo de téléscopage temporel, dans laquelle Ménès se "détriple". Ce sont trois Ménès, qui s'embrouillent sous nos yeux dans leurs regrets toujours à contretemps. Il faut en effet tenter de distinguer le Ménès-2016, celui qui soulève en public la jupe de Marie Portolano ; Menès-2020, celui qui répond à Portolano pour son documentaire ; et Ménès-2021, qui se re-visionne sur le plateau de Hanouna.

Dans la séquence censurée, Ménès-2020 se trouve face à une femme qu'il a humiliée. C'est la victime, aujourd'hui, qui a construit le dispositif, c'est elle qui mène l'entretien. "Tu te souviens que tu avais soulevé ma jupe devant tout le monde, il y a quatre ou cinq ans ?" "Pas du tout" "Eh bien tu vois, moi je m'en souviens" "Ouais" "Est-ce que tu le referais aujourd'hui?" "Oh oui" "Soulever la jupe de quelqu'un comme ça ?" "Oh oui" "Même en sachant que ça peut être humiliant ?" "Ça t'a humiliée ?" "Oui" "Ah bon. J'en suis désolé". Un silence. "Mais faut aussi prendre les gens comme ils sont. J'ai été embauché parce que je suis un personnage. Je t'ai peut-être soulevé ta jupe, je ne m'en souviens absolument pas. Mais est-ce que j'ai été incorrect avec toi une fois ?" "Ben là oui" "Non, mais indépendamment de ça ?"

Si on s'en était tenu là, à ce "je t'ai peut-être soulevé la jupe, mais est-ce que j'ai été incorrect une fois ?", à ce Menès qui se saborde tout seul, si Canal+ avait diffusé la séquence, oui, c'était la victime, Marie Portolano, qui avait le dernier mot sur Menès 2020. Insupportable pour le système Canal, qui soutient Ménès depuis si longtemps.

Voici donc, sur le plateau de Hanouna, dans la posture du mâle "quelque part" repentant -"franchement, quelque part, je le mérite un peu"- Ménès 2021. Quelque part, mais où donc ? Appelé à défendre aussi bien Ménès-2016 que Ménès-2020, il admet qu'il ne soulèverait pas cette jupe aujourd'hui. Il insiste sur "aujourd'hui". "Le monde a changé, on peut plus rien faire, on peut plus rien dire" (faut-il comprendre qu'il le referait volontiers si c'était à refaire hier ?).

Comme tant d'autres, face à ce monde qui "a changé", Ménès ne sait plus se situer, ailleurs que "quelque part". Une chroniqueuse : "Le côté on ne peut plus rien dire, franchement, le logiciel de 2021 ne peut plus l'entendre" (faut-il comprendre qu'on est dans ce moment où on ne peut même plus dire qu'on ne peut plus rien dire ?)  Dans ce nouveau monde logiciel, heureusement reste Hanouna, en compréhensif président de tribunal : "Quand tu vois les hashtags très violents, est- ce que ça t'a énormément touché, pour ta famille, pour toi ?"  Reste aussi sa chaîne qui "l'aime" et le lui ai prouvé quand c'était nécessaire. Reste ce dispositif qui, transformant le coupable en victime, donne logiquement le dernier mot à la défense. Allons, tout n'a pas changé.

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