Martinez chez Nuitdebout, la révolution est dans les détails
Daniel Schneidermann - - Alternatives - Le matinaute - 33 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
A part ça, le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez était finalement, hier soir, à Nuit Debout
, place de la République, à Paris. Je vous le dis, parce que les radios du matin ne l'ont pas dit, qui n'ont parlé qu'arrestations, voitures incendiées, gardes à vue, violence (la condamner ou pas ?), bref, qui ont réduit la journée de mobilisation et de manifs d'hier à un bilan policier. Pas seulement, d'ailleurs. Une radio a aussi découvert que "le mouvement se divise", en opposant une intervention de Lordon à la Bourse du travail ("nous n'apportons pas la paix"), déjà ancienne de plusieurs semaines, à l'interview d'un membre du "media center" de Nuit Debout. Il ne leur aura fallu qu'un mois pour réaliser qu'en effet, sur pratiquement tout, il y a quasiment autant d'opinions que de Nuitdeboutistes (comme d'ailleurs parmi les "Onvautmieuxqueça, qui viennent de scisionner sur la question des medias). Saluons l'exploit.
Il faut donc lire la presse, la bonne vieille presse écrite, pour apprendre que le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez s'est rendu place de la République. Bon, ce n'est pas encore la convergence totale. "La CGT se frotte à la Nuit Debout", titre Mediapart, tandis que Le Monde titre sur "la difficile convergence des luttes entre Nuit Debout et les syndicats". Sur le contenu politique de l'épisode, les deux titres s'accordent à rapporter que Martinez a douché l'enthousiasme des Nuitdeboutistes pour le déclenchement d'une grève générale, en rappelant "qu'une grève ne se mène pas tout seul"(Le Monde), et qu'il "faut user de la salive pour aller convaincre les salariés" (Mediapart).
S'il faut chercher des scissions, d'ailleurs, des écoles, des chapelles, on peut les chercher aussi dans les narrations journalistiques. Les deux comptes-rendus du Monde et de Mediapart sont caractéristiques. Le reportage du Monde s'ouvre sur Martinez (qui, seul, a droit à sa photo). Le récit est centré sur lui, vedette de la soirée, son attente pendant deux heures, le fait que lui seul soit appelé par son nom entier. Les deux heures de prise de parole qui l'ont précédé n'arrivent qu'au troisième paragraphe du récit. A l'inverse, le reportage de Mediapart chamboule cette hiérarchie traditionnelle : Martinez (qui n'a droit qu'à la troisième des trois photos) doit patienter jusqu'au huitième paragraphe, derrière Manon et Elsa (coordination nationale étudiante), Fathi (Taxis debout), un représentant d'Infocom CGT (la fameuse affiche), la CGT Air France, la CGT gare d'Austerlitz, Gaël (Sud Postes), Eric Beynel (Solidaires), et deux émissaires de la CNT. Autrement dit, le récit du Monde épouse la hiérarchie traditionnelle, accordant la priorité aux institutions nationales reconnues (la CGT), tandis que celui de Mediapart épouse l'ahiérarchie édictée par l'institution émergente (l'AG de Nuitdebout). Question de point de vue, comme diraient les cinéastes. Où placer sa caméra ? La révolution, comme le diable, est dans les détails.
Martinez à la République (photo Laban-Mattei/Myop pour Le Monde)