Marceline, Paulette, Poutine et Auschwitz
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 43 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
, prévient le reporter du Petit Journal
"Je vais poser une question un peu bête" à Paulette Sarcey, 90 ans, rescapée d'Auschwitz. "Est-ce qu'il vous arrivait de rire et de plaisanter entre vous ?" Le jeune Romain est là, avec ses tennis blanches de 2015, qui ne sait trop comment se tenir devant le monument vivant, dans une salle de la mairie de Paris. Et la question "un peu bête" qu'il a envie de poser, en s'excusant d'avance, c'est celle-ci.
"Absolument, répond la nonagénaire. On chantait. On riait. On fêtait le 1er mai à notre manière. On s'enfermait, on murmurait la Marseillaise. On chantait des chants révolutionnaires. On se promenait sur les Grands Boulevards, tu prends le côté gauche, je prends le côté droit, qu'est-ce qu'il y a comme magasins ?" Le Petit Journal ne le précise pas (ce serait sans doute trop long) mais Paulette Sarcey était une militante de la MOI (main d'oeuvre immigrée), comme l'ancien secrétaire général de la CGT Henri Krasucki, avec qui elle a été déportée. Expliquer tout ça prendrait du temps. Il faudrait expliquer aussi que c'est sans doute la solidarité politique et humaine, dans un groupe constitué, qui a permis à Paulette de survivre à Auschwitz.
Bref, Paulette répond gentiment. Pas comme une autre survivante, Marceline Loridon-Ivens, entendue le matin sur France Inter, et qui a envoyé promener la terre entière, Bernard Guetta, les socialistes qui refusent de graver le nom d'Auschwitz sur les monuments aux morts, le grand mufti de Jerusalem, et les lycéens lâches qui claquent des doigts dans l'obscurité pendant les projections dans les établissements scolaires. Chacune son tempérament.
La question de Romain est peut-être une question bête. Mais c'est une question qu'on a le droit de poser. Et même le devoir. C'est une question qu'on poserait plutôt à sa grand mère qu'à un monument historique, et c'est très bien comme ça. Les déportés n'étaient pas des héros. Ils n'étaient pas d'une essence différente des garçons et des filles d'aujourd'hui. C'étaient des garçons, des filles, militants politiques ou pas, et qui rêvaient de faire les magasins sur les boulevards, même quand ils étaient militants politiques.
Des nouvelles des amis Charlie, pour finir. Poutine n'était pas à Auschwitz, pour le 70e anniversaire de la libération du camp, en compagnie de Hollande, de l'Ukrainien Porochenko, ou du président allemand Gauck. Il a refusé l'invitation, assure sobrement France 2. On ne l'a pas invité, rétorque, indigné, Sapir sur son blog. C'est entre les deux, comme d'habitude. On va dire que l'invitation n'a pas été envoyée à la bonne adresse. Sans doute Poutine n'a-t-il pas apprécié que des futés Ukrainiens expliquent que le camp a été libéré en 1945 par des soldats ukrainiens (à la vérité, pour éviter de longues controverses, le camp a été libéré par une unité de l'Armée Rouge comprenant des soldats russes et des soldats ukrainiens). Mais, question manipulation de l'Histoire, il y a eu mieux. Il y a en Ukraine un Premier ministre. Par définition, il n'est pas bête, puisqu'il est Premier ministre. Donc, il parait que ce premier ministre ukrainien, ami Charlie, a déclaré que c'était l'Armée Rouge qui avait envahi l'Allemagne en 41, et pas l'inverse. Je n'ai pas vérifié. C'est Le Figaro qui rapporte ces propos. Est-ce pour cette raison que Poutine n'est pas venu à Auschwitz ? Dommage. Marceline et Paulette auraient pu les prendre en tête à tête, les Russes et les Ukrainiens, dans un coin de la cérémonie. Avec les ados, elles ont l'habitude.