Macron, le virus, et le vélotypiste

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 120 commentaires

Trop ? Pas assez ? Trop tôt ? Trop tard ? Juste à l'heure ? Ne comptez pas sur moi pour juger les mesures annoncées hier soir par Emmanuel Macron, pour lutter contre la pandémie. Je ne suis pas épidémiologue. Tout juste puis-je ici essayer de dégager l'essentiel de ce discours, et de le dégager de la glose plus abrutissante que jamais de mes confrères et consoeurs journalistes politiques, qui n'en finissent plus de supputer sur "le virage social du quinquennat". Dès que vous lisez ces mots dans un article, vous pouvez cesser de lire. Un pouvoir politique représente les forces sociales qui l'ont élu, il fait la politique de ces forces sociales.

La palme tout de même à l'inusable Alain Duhamel de BFM, éternel rescapé du confinement, qui a dégainé les adjectifs habituels, jugeant le discours "énergique, rassembleur, ambitieux". Dissipée la glose duhamelienne des medias mainstream, que reste-t-il donc de cette demi-heure ? La fermeture des établissements scolaires "jusqu'à nouvel ordre", des mesures de report de cotisations et d'impôts pour les petites entreprises et, ne l'oublions pas, la prolongation de deux mois de la trève hivernale. Ces mesures vont évidemment dans le sens de la lutte nécessaire contre la propagation. Rien ne dit qu'elles seront suffisantes. Le matin même, le ministre de l'Education Blanquer assurait qu'il n'était pas question de fermer les écoles. Macron semblait hier soir courir après le virus, comme le vélotypiste courait après son discours. Rien ne dit que de plus strictes mesures de confinement ne seront pas prises ce week-end, ou demain, ou aujourd'hui, tant toutes les décisions politiques françaises semblent dictées par ce compte à rebours obsédant des "huit jours de retard sur l'Italie".

Pour le reste, pour la musique macronienne -appels à la solidarité, humilité devant la science, remise en cause du modèle de développement : cette musique est certes plus agréables à des oreilles de gauche, que si Macron avait pris la décision -politiquement intenable-, et comme croyait le savoir le Journal du Dimanche, de reporter des élections municipales, perdues d'avance pour son mouvement. Mais tant qu'à faire, écoutons aussi les mots qu'il ne prononce pas. Quand il se dit déterminé à "interroger le modèle dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grand jour", il se garde bien de nommer ce modèle. De quel "modèle" parle-t-il donc ? Quand il évoque à répétition la solidarité, il n'envisage nul report de la réforme de l'assurance-chômage, ou celle des retraites, qui cassent le modèle social français. Quant au "quoiqu'il en coûte", martelé, il est certainement sincère. Mais n'aurait-on pas économisé ces milliards en finançant, "quoiqu'il en coûte" la recherche sur les coronavirus ?

Trop tôt ? Trop tard ? Trop peu ? Tout au plus puis-je noter que la quasi-totalité des soignants à qui les médias donnent la parole poussent, contre les journalistes et les politiques, à des mesures plus radicales et plus contraignantes. A la décharge de ces journalistes et de ces politiques, il est vrai que le corps social semble frappé, lui aussi, de la même apathie impuissante, de la même incapacité d'anticipation, que devant le péril climatique, à cette différence près que le compte à rebours ne se compte pas en années, mais en jours. Qui se lave les mains plusieurs fois par jour ? Qui (à quelques exceptions près) est prêt à renoncer à un voyage prévu, pour ne pas mettre les autres en danger ? Qui, autour de nous, fait l'effort surhumain de ne pas seulement s'envisager comme contaminé potentiel, mais comme contaminant potentiel ?

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