Macron et les retraités : un monde sans journalistes

Daniel Schneidermann - - Nouveaux medias - Le matinaute - 44 commentaires

Il faut bien regarder la vidéo ci-dessous. Emmanuel Macron fait face à des retraités, qui l'interpellent courtoisement sur la hausse de la CSG. Filmée par l'Elysée, cette video a été tweetée, avec un teasing, par Macron lui-même. Un dialogue apparemment spontané, sans intermédiaire, entre le président et un petit groupe de Français : l'actuel locataire de l'Elysée, depuis dix mois, nous a habitués à ces scènes.

"C'est votre anniversaire ?" Demain. "Demain ?" Bises. Applaudissements. A un autre : "Bravo, vous suivez bien le film" L'ambiance est affectueuse. On rit. Les mains du chef de l'Etat sont affectueusement posées sur les mains de la toute fraiche octogénaire. Et entre les rires, on fait de la pédagogie sur la retraite par répartition. Et donc, sur la hausse de la CSG sur les pensions de retraite. 

Macron : "C'est pour aider les jeunes. A quoi on a utilisé cette hausse de la CSG ? On l'a utilisée à baisser les cotisations sociales salariales"Autrement dit, pour résumer : si on vous prend de l'argent, c'est pour aider les jeunes à payer vos retraites. Et ça passe.

Macron : "Je l'avais dit, j'ai pris personne en traitre sur ce sujet" : et ça passe encore, alors que ce n'est qu'à moitié vrai.  Ce qu'avait annoncé Emmanuel Macron, c'est "une hausse de la CSG, de 1,7%, qui ne touchera pas les retraités modestes". Mais évidemment, sans préciser  explicitement qu'elle toucherait les autres retraités. Et sans que ce point soit rappelé dans le chapitre "retraite" du document d'une trentaine de pages qui résumait son programme. Mais les retraités qui font face à Macron, sidérés par le séduisant bonimenteur qui les cajole, ne sont pas des Décodeurs du Monde.

Il faut bien regarder cette video, mais le plus intéressant, c'est ce que l'on n'y voit pas. Dans ce dialogue, personne pour prendre du champ, s'évader du cercle étroit de ce débat sur la CSG, et interpeller Macron sur la cohérence d'ensemble de sa politique. Personne pour lui objecter, par exemple, la suppression de l'ISF.  Les retraités sont priés de n'exprimer que les revendications des retraités. Demain, éventuellement, on affrontera les cheminots, ou les étudiants -découper en tranches la société-cible, pour affronter les oppositions l'une après l'autre : c'est la stratégie de l'Horace contre les Curiaces, ainsi que le décrivait récemment François Ruffin (à partir de 7 minutes, sur la video).  Personne pour contester, interpeller, changer de pied : vision radieuse d'un monde sans journalistes.

Lire sur arretsurimages.net.