Macron à Kiev : une journée de poissons rouges

Daniel Schneidermann - - Coups de com' - Le matinaute - 131 commentaires

Et soudain le réel disparut des écrans des chaînes d'info. La campagne législative disparut, il n'en restait déjà plus grand-chose, de cette pauvre campagne. Avait-elle vraiment existé ? La canicule aussi s'auto-évapora. Toute la journée des chaînes d'info, à trois jours du scrutin, fut aspirée par la visite à Kiev du président de la République, et de ses collègues italien, allemand et roumain. Ils arrivent. Ils se dirigent vers la ville bombardée. Ils se dirigent vers le palais présidentiel. Ils y sont. Photo. Historique. Hop c'est en boîte. 

Ils s'entretiennent avec Zelensky. Macron est sur le point de quitter son hôtel pour se rendre à l'ambassade. Je ne plaisante pas. J'avais coupé le son de BFMTV, je travaillais, je ne regardais que les bandeaux, et au-dessus, des gens qui ouvraient la bouche, poissons furieux dans un bocal. Je fus informé en direct que "Macron a quitté son hôtel pour se rendre à l'ambassade". Les chaînes privées d'info continue étant censées rechercher l'audience maximum, il fallait bien en déduire que le peuple français souhaitait être informé en direct que le président avait quitté son hôtel.

Presqu'en direct. La visite était couverte en léger différé pour raisons de sécurité. Bien sûr, les journalistes n'étaient pas dupes. Les reporters reportaient : dans les rues de Kiev, on en veut un peu à Macron qui a dit qu'il ne fallait pas humilier les Russes. Les analystes analysaient : tout de même, trois jours avant le second tour, le calendrier ne serait-il pas un peu politique, tout de même ? Bien entendu, il y a dans cette visite un aspect électoral. Et qu'en pensez-vous, général Machin, monsieur Truc, consultant en géostratégie, Monsieur Lebidule, ex des forces spéciales, pensez-vous que cela peut avoir un impact sur le vote ? Non bien entendu. Minime. À la marge. Les Français ne sont pas dupes. Ce qui les intéresse, c'est le pouvoir d'achat. Le prix du litre de super. Ils ne décollent pas de là. Sacrés Français. Et pourtant, on aura fait tout ce qu'on pouvait.

C'est une étrange expérience de retourner sur le terrain pour ces chroniques sur les routes du troisième tour, après tant d'années passées devant mes écrans. De plonger dans le réel morne, dans le réel enthousiaste, dans le réel inconnu, dans les cages d'escalier silencieuses, dans le réel qui n'intéresse pas les gens, forcément, parce que sinon les médias en parleraient. Je me souviens du jour de la nomination d'Elisabeth Borne, dans un délire de pushes, et de Priorité au direct. Je faisais ce soir-là un porte-à-porte dans le Val-de-Marne, avec la candidate ex-femme de chambre de l'hôtel Ibis Rachel Keke. On était loin, si loin. Des portes restaient closes. D'autres s'ouvraient. Dans aucun appartement, je n'entendis que l'écho d'une chaîne d'info. Bon dimanche à tous !


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