Lyra McKee ne terminera pas cette enquête

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 21 commentaires

Pourquoi une si importante vague de suicides chez les bébés du cessez le feu irlandais, les adolescents qui n'ont pas connu les horreurs de la guerre civile, et n'en ont été traumatisés que par les récits de leurs parents ? "Du début des "troubles" en 1969, jusqu'à l'accord de paix en 1998, plus de 3600 personnes ont été tuées. Dans les 16 années suivantes, jusqu'à la fin 2014, on a compté 3709 morts par suicide, ce qui contraste avec les 32 années entre 1965 et 1997, où 3983 suicides avaient été enregistrés".

C'est Lyra McKee, 29 ans, qui a trouvé cette éclairante comparaison statistique. Et se pose la question : pourquoi ?

Cette question est le point de départ de l'une des premières enquêtes de Lyra McKee sur laquelle on tombe, en surfant sur son nom. Une enquête obstinée, entreprise après le suicide à 17 ans de Jonny, le meilleur ami de la jeune journaliste, et qui l'a menée jusqu'à l'université de Haifa, en Israël, où des chercheurs enquêtent sur "la transmission intergénérationnelle du trauma"  de la Shoah. Et jusqu'à cette question sans réponse : des traumatismes vécus avant la conception peuvent-ils provoquer des changements épigénétiques chez les enfants ? La question bute sur la rareté des données statistiques. Dans les pays en guerre, les archives disparaissent souvent avec la fin de la guerre. Sauf en Irlande du Nord, justement, où des données pourraient être exploitables.

Au petit matin, j'ai suivi pas à pas le chemin de Lyra McKee, des pubs de Belfast à l'université de Haïfa. J'ai découvert son pas, son rythme, sa musique. Mais Lyra McKee ne terminera pas cette enquête. Il semble qu'elle ait été victime d'affrontements entre la police et un groupe de jeunes Irlandais, cette nuit, à Londonderry. Les premières informations, au petit matin, faisaient état de la mort "d'une femme", dans un affrontement qualifié par la police de "terroriste". Au fil des heures, les informations se sont affinées, jusqu'à livrer le nom de Lyra McKee, 29 ans. Elle couvrait ces affrontements. 

Il est vraisemblable que la mort de Lyra McKee sera exploitée par les partisans et les adversaires du Brexit, Londonderry, par sa proximité de la frontière, étant particulièrement exposée en cas de Brexit "dur". Je ne me prononce pas ici. Je ne sais pas ce qu'en pensait Lyra McKee. Son dernier tweet évoque simplement une "folie pure". Lyra McKee est la 7e journaliste tuée en 2019 (3 en Afghanistan, 2 au Mexique, 1 au Ghana).

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